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Michel de Montaigne

Michel de Montaigne

Michel de Montaigne (28 février 1533 – 13 septembre 1592) fut l'un des philosophes les plus importants de la Renaissance française, connu pour avoir popularisé l'essai comme genre littéraire.

Jusques à quel poinct de presomption et d’insolence, ne portons nous nostre aveuglement et nostre bestise ?

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Source: Essais

L’entendement humain se perdant à vouloir sonder et contreroller toutes choses jusques au bout.

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Source: Essais

Protagoras nous en comtoit de belles, faisant l’homme la mesure de toutes choses, qui ne sçeut jamais seulement la sienne.

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Source: Essais

C’est grande temerité de vous perdre pour perdre un autre.

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Source: Essais

Je vous conseille [...] la moderation et l’attrempance, et la fuite de la nouvelleté et de l’estrangeté. Toutes les voyes extravagantes me faschent.

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Source: Essais

Nostre esprit est un util vagabond, dangereux et temeraire : il est malaisé d’y joindre l’ordre et la mesure.

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Source: Essais

C’est un outrageux glaive à son possesseur mesme, que l’esprit, à qui ne sçait s’en armer ordonnément et discrettement.

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Source: Essais

Il est malaisé de donner bornes à nostre esprit : il est curieux et avide, et n’a point occasion de s’arrester plus tost à mille pas qu’à cinquante.

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Source: Essais

Combien de fois changeons nous nos fantasies ? Ce que je tiens aujourd’huy et ce que je croy, je le tiens et le croy de toute ma croyance [...]. Mais ne m’est il pas advenu [...] d’avoir ambrassé quelque autre chose [...] que depuis j’aye jugée fauce ?

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Source: Essais

J’appelle tousjours raison cette apparence de discours que chacun forge en soy : cette raison [...] c’est un instrument de plomb et de cire, alongeable, ployable et accommodable à tous biais et à toutes mesures.

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Source: Essais

Nostre veillée est plus endormie que le dormir ; nostre sagesse, moins sage que la folie. Noz songes vallent mieux que noz discours.

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Source: Essais

Puis que je ne suis pas capable de choisir, je pren le chois d’autruy et me tien en l’assiette où Dieu m’a mis. Autrement, je ne me sçauroy garder de rouler sans cesse.

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Source: Essais

Les loix prennent leur authorité de la possession et de l’usage ; il est dangereux de les ramener à leur naissance.

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Source: Essais

Quelle verité que ces montaignes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au delà ?

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Source: Essais

Les médecins disent que les pouces sont les maîtres doigts de la main.

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Source: Essais

Les Grecs l’appellent ἀντίχειρ, comme qui dirait une autre main.

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Source: Essais

C'était à Rome une signification de faveur, de [...] baisser les pouces : et de défaveur de les hausser et contourner au dehors.

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Source: Essais

Les Romains dispensaient de la guerre ceux qui étaient blessés au pouce, comme s’ils n’avaient plus la prise des armes assez ferme.

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Source: Essais

Auguste confisqua les biens à un chevalier Romain qui avait, par malice, coupé les pouces à deux siens jeunes enfants, pour les excuser d’aller aux armées.

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Source: Essais

Le Sénat [...] avait condamné Caius Vatienus à prison perpétuelle [...] pour s’être à escient coupé le pouce de la main gauche, pour s’exempter de ce voyage.

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Source: Essais

Quelqu’un [...] ayant gagné une bataille navale, fit coupper les pouces à ses ennemis vaincus pour leur ôter le moyen de combattre et de tirer la rame.

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Source: Essais

Les Athéniens les firent couper aux Æginètes, pour leur ôter la préférence en l’art de marine.

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Source: Essais

En Lacédémone le maître châtiait les enfants en leur mordant le pouce.

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Source: Essais

Parmi certains rois barbares, pour faire une obligation assurée, leur manière était de [...] s'entrelacer les pouces [...] les blesser de quelque légère pointe, et puis se les entresuçaient.

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Source: Essais

Me voici devenu grammairien, moi qui n’ai jamais appris une langue que par routine [...].

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Source: Essais

Quand je suis à cheval, je n’en descends pas volontiers ; car c’est le mode de locomotion que je préfère, que je sois bien portant ou malade.

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Source: Essais

[...] la différence essentielle entre les hommes libres et les serfs consistait en ce que les premiers allaient à cheval et les autres à pied.

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Source: Essais

Quand vous combattez à cheval, vous liez votre valeur et votre fortune à celles de votre cheval.

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Source: Essais

La victoire était alors bien plus disputée, tandis que maintenant la déroute est immédiate : les premiers cris et la première charge décident du succès.

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Source: Essais

Je conseillerais l’emploi des armes [...] le plus courtes possible, comme étant celles dont les effets dépendent le plus de nous.

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Source: Essais

On est plus certain du coup qu’on assène soi-même que de celui que l’on envoie à travers les airs.

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Source: Essais

[...] je crois que [les armes à feu] sont de peu d’efficacité et espère qu’un jour on renoncera à leur emploi.

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Source: Essais

[...] furieux de périr d’une piqûre, ils se roulent par terre de rage et de honte.

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Source: Essais

Il n’est rien, à leurs yeux, de moins honorable et de si efféminé que de faire usage de selles [...], et ils méprisent ceux qui y ont recours.

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Source: Essais

Les peuples des nouvelles Indes s’imaginèrent [...] qu’hommes et chevaux étaient des dieux ou tout au moins des êtres d’une nature supérieure à la leur.

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Source: Essais

Dire chez nous de quelqu’un que c’est un bon cavalier, c’est faire allusion à sa hardiesse plus qu’à son adresse.

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Source: Essais

Les Scythes, quand en guerre la nécessité les y obligeait, saignaient leurs chevaux et se nourrissaient de leur sang.

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Source: Essais

Les premiers cris et la première charge décident du succès.

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Source: Essais

C’est à la verité une violente et traistresse maistresse d’escole, que la coustume. [...] elle nous descouvre tantost un furieux et tyrannique visage, contre lequel nous n’avons plus la liberté de hausser seulement les yeux.

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Source: Essais

Nos plus grands vices prennent leur ply de nostre plus tendre enfance, et que nostre principal gouvernement est entre les mains des nourrices.

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Source: Essais

Les jeux des enfans ne sont pas jeux, et les faut juger en eux comme leurs plus serieuses actions.

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Source: Essais

Il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantasie si forcenée, qui ne rencontre l’exemple de quelque usage public [...].

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Source: Essais

Les miracles sont selon l’ignorance en quoy nous sommes de la nature, non selon l’estre de la nature. L’assuefaction endort la veue de nostre jugement.

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Source: Essais

La raison humaine est une teinture infuse environ de pareil pois à toutes nos opinions et mœurs, de quelque forme qu’elles soient : infinie en matiere, infinie en diversité.

1580

Source: Essais

Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume.

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Source: Essais

Ce qui est hors des gonds de coustume, on le croid hors des gonds de raison : Dieu sçait combien desraisonnablement, le plus souvent.

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Source: Essais

Le sage doit au dedans retirer son ame de la presse, et la tenir en liberté et puissance de juger librement des choses ; mais, quant au dehors, qu’il doit suivre entierement les façons et formes receues.

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Source: Essais

Il y a grand doute, s’il se peut trouver si evident profit au changement d’une loy receue, telle qu’elle soit, qu’il y a de mal à la remuer [...].

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Source: Essais

Je suis desgousté de la nouvelleté, quelque visage qu’elle porte, et ay raison, car j’en ay veu des effets tres-dommageables.

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Source: Essais

Ceux qui donnent le branle à un estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruyne. Le fruict du trouble ne demeure guere à celuy qui l’a esmeu.

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Source: Essais

Il y a grand amour de soy et presomption, d’estimer ses opinions jusque-là que, pour les establir, il faille renverser une paix publique, et introduire tant de maux inevitables [...].

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Source: Essais

Qui se mesle de choisir et de changer, usurpe l’authorité de juger, et se doit faire fort de voir la faute de ce qu’il chasse, et le bien de ce qu’il introduit.

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Source: Essais

À qui me demanderait ce qui importe le plus en amour, je répondrais que c’est tout d’abord de savoir saisir le moment opportun ; en second lieu cela encore, et, en troisième lieu toujours cela.

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Source: Essais

C’est folie de vouloir s’éclairer sur un mal qui ne comporte pas de traitement qui ne l’accroisse et ne l’aggrave [...].

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Source: Essais

Pour qu’un mariage soit bon, il faut la femme aveugle et le mari sourd.

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Source: Essais

De quoi plaisante-t-on davantage, en ces temps-ci, si ce n’est d’un ménage paisible et bien assorti ?

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Source: Essais

Quand je vois cette façon audacieuse de s’exprimer, si vive, si profonde, je ne dis pas que c’est « bien dire », je dis que c’est « bien penser ».

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Source: Essais

C’est la hardiesse de l’imagination qui élève et donne du poids aux paroles.

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Source: Essais

[Mon ouvrage] fait ailleurs, il eût été meilleur, mais il eût été moins de moi ; et son but principal, comme son mérite, sont d’être exactement moi.

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Source: Essais

Ce qui me contrarie, c’est que mon âme s’abandonne d’ordinaire à ses plus profondes rêveries, [...] à l’improviste, lorsque je les recherche le moins, et qu’elles s’évanouissent subitement, parce que je n’ai rien sous la main pour les fixer [...].

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Source: Essais

Je crois que Platon est dans le vrai quand il dit que l’homme a été créé par les dieux pour leur servir de jouet.

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Source: Essais

On se cache [...] pour construire un homme, pour le détruire on recherche le grand jour et de vastes étendues.

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Source: Essais

Nous ne sommes ingénieux qu’à nous malmener ; c’est à cela surtout que nous appliquons toutes les ressources de notre esprit, qui est un bien dangereux instrument de déréglement.

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Source: Essais

Hé ! pauvre homme ! tu as bien assez d’incommodités que tu es obligé de subir, sans les accroître encore par tes inventions !

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Source: Essais

Qui dit tout, nous soûle et nous dégoûte. Celui qui, au contraire, regarde à s’exprimer, nous porte à en penser plus qu’il n’y en a.

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Source: Essais

L’amour chez les Espagnols et les Italiens, plus respectueux, plus timide, [...] me plaît. [...] Pour accroître ces sensations, il faut en prolonger les préambules.

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Source: Essais

Je dis que mâles et femelles sortent du même moule et que, sauf leur éducation et les mœurs, la différence n’en est pas grande.

1580

Source: Essais

Je propose des fantaisies informes et irrésolues [...] non pour établir la vérité, mais pour la chercher.

1580

Source: Essais

La justice et la puissance [divines] sont inséparables : pour néant implorons-nous leur force en une mauvaise cause.

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Source: Essais

Il faut avoir l’âme nette [...] et déchargée de passions vicieuses ; autrement nous nous présentons nous-mêmes les verges de quoi nous châtier.

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Source: Essais

Je ne loue pas volontiers ceux que je vois prier [...] si les actions voisines de la prière ne me témoignent quelque amendement et réformation.

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Source: Essais

Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en même gîte [...] le crime et le juge ?

1580

Source: Essais

Ce n’est pas en passant, et tumultuairement, qu’il faut manier une étude si sérieuse et vénérable.

1580

Source: Essais

L’ignorance pure [...] était bien plus salutaire et plus savante que n’est cette science verbale et vaine, nourrice de présomption et de témérité.

1580

Source: Essais

Le zèle [...] se change en haine et envie [...] quand il est conduit d’une passion humaine.

1580

Source: Essais

Je propose les fantaisies humaines et miennes, simplement comme humaines fantaisies [...] matière d’opinion, non matière de foi.

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Source: Essais

Nous invoquons Dieu et son aide au complot de nos fautes, et le convions à l’injustice.

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Source: Essais

Il est peu d’hommes qui osassent mettre en évidence les requêtes secrètes qu’ils font à Dieu.

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Source: Essais

Il ne faut pas demander que toutes choses suivent notre volonté, mais qu’elles suivent la prudence.

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Source: Essais

Nous prions par usage et par coutume [...]. Ce n’est enfin que mine.

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Source: Essais

Il se voit plus souvent cette faute, que les théologiens écrivent trop humainement, que cette autre, que les humanistes écrivent trop peu théologalement.

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Source: Essais

Une vraie prière [...] ne peut tomber en une âme impure et soumise lors même à la domination de Satan.

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Source: Essais

Il n’est rien à quoi il semble que nature nous ait plus acheminés qu’à la société.

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Source: Essais

Les bons législateurs ont eu plus de soin de l’amitié que de la justice.

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Source: Essais

L’amitié se nourrit de communication, qui ne peut se trouver entre [pères et enfants] pour la trop grande disparité.

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Source: Essais

Notre liberté volontaire n’a point de production qui soit plus proprement sienne que celle de l’affection et amitié.

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Source: Essais

Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité.

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Source: Essais

En l’amitié de quoi je parle, [les âmes] se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes.

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Source: Essais

Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »

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Source: Essais

Il n’est pas en la puissance de tous les discours du monde, de me déloger de la certitude que j’ai des intentions et jugements du mien [ami].

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Source: Essais

Il faut marcher en ces autres amitiés la bride à la main, avec prudence et précaution ; la liaison n’est pas nouée en manière qu’on n’ait aucunement à s’en défier.

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Source: Essais

À l’endroit des [amitiés] ordinaires et coutumières, il faut employer le mot qu’Aristote avait très-familier : « O mes amis ! il n’y a nul ami. »

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Source: Essais

L’union de tels amis étant véritablement parfaite, elle leur fait perdre le sentiment de tels devoirs, et haïr et chasser d’entre eux ces mots de division et de différence.

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Source: Essais

[Leur] convenance n’étant qu’une âme en deux corps, selon la très-propre définition d’Aristote, ils ne se peuvent prêter ni donner rien.

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Source: Essais

Cette parfaite amitié de quoi je parle est indivisible : chacun se donne si entier à son ami qu’il ne lui reste rien à départir ailleurs.

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Source: Essais

C’est un assez grand miracle de se doubler ; et n’en connaissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler.

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Source: Essais

Depuis le jour que je le perdis, [...] je ne fais que traîner languissant ; et les plaisirs mêmes qui s’offrent à moi, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte.

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Source: Essais

Presque toutes nos opinions ne se forment que par l’autorité d’autrui [...]. [Celles-ci] n’ont notre approbation que par respect pour l’approbation universelle.

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Source: Essais

Nous n’apercevons, en fait de grâces, que celles qui sont piquantes [...] et regorgent d’artifice ; celles qui glissent, naïves et simples, échappent aisément à des sens aussi grossiers que les nôtres.

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Source: Essais

Notre monde est pétri d’ostentation, les hommes ne s’enflent que de vent et vont par bonds, comme les ballons.

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Source: Essais

Nous sommes chacun plus riches que nous ne pensons ; mais on nous dresse à emprunter et à quémander ; on nous façonne à nous servir plus d’autrui que de nous-mêmes.

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Source: Essais

L’homme ne sait en rien s’arrêter [...]. Qu’il s’agisse de volupté, de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu’il n’en peut étreindre ; son avidité est incapable de modération.

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Source: Essais

La véritable liberté consiste à avoir, en tout, pouvoir sur soi-même.

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Source: Essais

Est-il quelque chose de si mauvais dans un gouvernement, qui vaille d’être combattu par une drogue aussi mortelle que la guerre civile ?

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Source: Essais

On ne peut imaginer un état de choses pire que celui où la méchanceté est devenue légitime et revêt [...] le manteau de la vertu.

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Source: Essais

J’aide d’habitude aux présomptions injurieuses que la fortune sème contre moi, par la façon que j’ai toujours eue de fuir à me justifier, m’excuser et entrer en explications.

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Source: Essais

En toutes choses, l’homme a recours à l’appui des autres pour s’épargner de recourir à celui qu’il a en lui, [...] le seul sur lequel il puisse compter.

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Source: Essais

Nous troublons la vie par le souci de la mort, et la mort par le souci de la vie ; l’une nous ennuie, l’autre nous effraie.

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Source: Essais

Ce n’est pas contre la mort que nous nous préparons, c’est une chose trop momentanée [...]. À dire vrai, nous nous préparons contre les préparations à la mort.

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Source: Essais

Si vous ne savez pas mourir, ne vous en tourmentez pas : la nature vous renseignera sur le moment même, d’une façon complète et suffisante ; elle fera parfaitement cette besogne à votre place.

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Source: Essais

La maturité a ses défauts tout comme ce qui est encore vert, ils sont même pires ; quant à la vieillesse, elle est aussi impropre à ce travail qu’à tout autre chose.

1580

Source: Essais

Je n’ai pas, comme Socrate, corrigé par la puissance de la raison mes instincts naturels [...] ; je me laisse aller comme je suis venu, je ne combats rien.

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Source: Essais

C’est [...] que nous tenons cette fantasie, que la raison humaine est contrerolleuse generalle de tout ce qui est au dehors et au dedans de la voute celeste, qui embrasse tout, qui peut tout.

1580

Source: Essais

Les extremitez de nostre perquisition tombent toutes en esblouyssement. [...] La fin et le commencement de science, se tiennent en pareille bestise.

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Source: Essais

Qui fagoteroit suffisamment vn amas des asneries de l’humaine sapience, il diroit merueilles.

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Source: Essais

Il n’est iugement humain, si tendu, qui ne sommeille par fois.

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Source: Essais

L’humaine phantasie ne peut rien conceuoir en bien et en mal qui ne se trouue [dans la philosophie] : Nihil tam absurdè dici potest, quod non dicatur ab aliquo philosophorum.

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Source: Essais

Toutes choses produites par nostre propre discours et suffisance, autant vrayes que fauces, sont subiectes à incertitude et debat.

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Source: Essais

Qui nous tiendroit, si nous auions un grain de connoissance ?

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Source: Essais

La verité doit auoir vn visage pareil et vniuersel. [...] La droiture et la justice, si l’homme en cognoissoit, [...] il ne l’attacheroit pas à la condition des coustumes de cette contrée, ou de celle là.

1580

Source: Essais

Quelle verité est-ce que ces montaignes bornent, mensonge au monde qui se tient au delà ?

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Source: Essais

Il n’est rien subiect à plus continuelle agitation que les loix.

1580

Source: Essais

Nostre esprit est vn vtil vagabond, dangereux et temeraire : il est malaisé d’y ioindre l’ordre et la mesure.

1580

Source: Essais

Combien diuersement iugeons nous des choses ? combien de fois changeons nous noz fantasies ?

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Source: Essais

Quoy qu’on nous presche, quoy que nous apprenions, il faudroit tousiours se souuenir que c’est l’homme qui donne, et l’homme qui reçoit ; c’est vne mortelle main qui nous le presente ; c’est vne mortelle main qui l’accepte.

1580

Source: Essais

J’appelle tousiours raison, cette apparence de discours que chacun forge en soy : cette raison [...] de laquelle, il y en peut avoir cent contraires autour d’vn mesme subject.

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Source: Essais

Il ne faut pas croire à chacun, dit le precepte, par ce que chacun peut dire toutes choses.

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Source: Essais

J’ai vu beaucoup de gens rendus insensés par la peur ; même chez les plus pondérés, [...] elle occasionne de terribles troubles d’esprit.

1580

Source: Essais

Combien de fois [la peur] n’a-t-elle pas transformé à leurs yeux un troupeau de moutons en un escadron de piquiers [...] ?

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Source: Essais

La peur nous donne tantôt des ailes aux talons, [...] tantôt elle nous cloue au sol et nous immobilise.

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Source: Essais

...tant la peur s’effraie, même de ce qui pourrait lui venir en aide.

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Source: Essais

C’est surtout quand, sous son influence, nous recouvrons la vaillance qu’elle nous a enlevée [...] que la peur manifeste son action la plus intensive.

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Source: Essais

[Certains] achètent une fuite honteuse au prix des mêmes efforts qu’il eût fallu faire pour remporter une victoire glorieuse.

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Source: Essais

[La peur] dépasse par les incidents aigus qu’elle nous cause, tout autre genre d’accident.

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Source: Essais

La peur, plus forte que leur douleur, avait paralysé [leurs larmes].

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Source: Essais

Ceux qui ont eu une forte peur de l’ennemi, vous ne leur feriez pas seulement le regarder en face.

1580

Source: Essais

Ceux qui ont sérieusement sujet de craindre [...] vivent dans une angoisse continue ; ils en perdent le boire, le manger et aussi le repos.

1580

Source: Essais

Combien de gens, harcelés par les transes poignantes de la peur, se sont pendus, noyés, jetés dans des précipices...

1580

Source: Essais

[La peur] nous montre bien qu’elle est encore plus importune et insupportable que la mort.

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Source: Essais

Les Grecs reconnaissent une autre sorte de peur, qui ne provient pas d’erreur de notre jugement et survient, disent-ils, sans cause apparente [...]. C’est ce que les Grecs nomment les « terreurs paniques ».

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Source: Essais

Il se voit par expérience [...] que les mémoires excellentes se joignent volontiers aux jugements débiles.

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Source: Essais

D’un défaut naturel on en fait un défaut de conscience.

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Source: Essais

Le magasin de la mémoire est volontiers plus fourni de matière que n’est celui de l’invention.

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Source: Essais

C’est chose difficile de fermer un propos et de le couper depuis qu’on est lancé [...].

1580

Source: Essais

Surtout les vieillards sont dangereux, à qui la souvenance des choses passées demeure, et ont perdu la souvenance de leurs redites.

1580

Source: Essais

[Grâce à ma mauvaise mémoire], il me souvient moins des offenses reçues.

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Source: Essais

[Grâce à ma mauvaise mémoire], les lieux et les livres que je revois me rient toujours d’une fraîche nouvelleté.

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Source: Essais

Ce n’est pas sans raison qu’on dit que qui ne se sent point assez ferme de mémoire ne se doit pas mêler d’être menteur.

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Source: Essais

La définition du mot de mentir [...] porte autant comme aller contre sa conscience.

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Source: Essais

En vérité, le mentir est un maudit vice : nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole.

1580

Source: Essais

Si nous connaissions l’horreur et le poids [du mensonge], nous le poursuivrions à feu, plus justement que d’autres crimes.

1580

Source: Essais

La menterie seule et, un peu au-dessous, l’opiniâtreté, me semblent être celles desquelles on devrait à toute instance combattre la naissance et le progrès.

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Source: Essais

Si, comme la vérité, le mensonge n’avait qu’un visage, nous serions en meilleurs termes ; car nous prendrions pour certain l’opposé de ce que dirait le menteur.

1580

Source: Essais

Le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini.

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Source: Essais

Nous sommes mieux en la compagnie d’un chien connu qu’en celle d’un homme duquel le langage nous est inconnu. Et de combien est le langage faux moins social que le silence.

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Source: Essais

Il est ordinaire de voir les bonnes intentions, si elles sont conduites sans moderation, pousser les hommes à des effects tres-vitieux.

1580

Source: Essais

[...] la passion pousse [les hommes] hors les bornes de la raison, et leur faict par fois prendre des conseils injustes, violents et encore temeraires.

1580

Source: Essais

J’estime que ce desordre [le zèle religieux] ait plus porté de nuysance aux lettres que tous les feux des barbares.

1580

Source: Essais

[...] l’inimitié qu’il portoit à nostre [religion] ne donnoit aucun contrepoix à la balance [de la justice].

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Source: Essais

Il devoit à la philosophie un singulier mespris en quoy il avoit sa vie et les choses humaines.

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Source: Essais

[Il disait être] digne de mourir de cette noble façon, sur le cours de ses victoires et en la fleur de sa gloire.

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Source: Essais

[...] il couvoit [...] de long temps en son cœur le paganisme ; mais, par ce que toute son armée estoit de Chrestiens, il ne l’osoit descouvrir.

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Source: Essais

[Il] amonnesta instamment d’assoupir ces dissentions civiles, et que chacun sans empeschement et sans crainte servit à sa religion.

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Source: Essais

[...] ayant essayé par la cruauté d’aucuns Chrestiens qu’il n’y a point de beste au monde tant à craindre à l’homme que l’homme.

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Source: Essais

L’Empereur Julian se sert, pour attiser le trouble [...], de cette mesme recepte de liberté de conscience que nos Roys viennent d’employer pour l’estaindre.

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Source: Essais

On peut dire, d’un costé, que de lacher la bride aux [partis] d’entretenir leur opinion, c’est espandre et semer la division.

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Source: Essais

D’autre costé, on diroit aussi que de lascher la bride aux [partis] [...], c’est les amolir et relacher par la facilité et par l’aisance [...].

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Source: Essais

[La liberté d'opinion] c’est émousser l’éguillon qui s’affine par la rareté, la nouvelleté et la difficulté.

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Source: Essais

[...] n’ayans peu ce qu’ils vouloient, ils ont fait semblant de vouloir ce qu’ils pouvoient.

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Source: Essais

Cette mesme piperie que les sens apportent à nostre entendement, ils la reçoivent à leur tour. Nostre ame par fois s’en revenche de mesme ; ils mentent et se trompent à l’envy.

1580

Source: Essais

L’objet que nous aymons nous semble plus beau qu’il n’est, [...] et plus laid celuy que nous avons à contre cœur.

1580

Source: Essais

Ceux qui ont apparié nostre vie à un songe, ont eu de la raison, à l’avanture plus qu’ils ne pensoyent.

1580

Source: Essais

Nostre veiller n’est jamais si esveillé qu’il purge et dissipe bien à point les resveries, qui sont les songes des veillans, et pires que songes.

1580

Source: Essais

Nostre raison et nostre ame, recevant les fantasies et opinions qui luy naissent en dormant, [...] pourquoy ne mettons nous en doubte si nostre penser, nostre agir, n’est pas un autre songer, et nostre veiller quelque espece de dormir ?

1580

Source: Essais

Finalement, il n’y a aucune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects. Et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse.

1580

Source: Essais

Nous n’avons aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine nature est tousjours au milieu entre le naistre et le mourir, ne baillant de soy qu’une obscure apparence et ombre [...].

1580

Source: Essais

Et puis nous autres sottement craignons une espece de mort, là où nous en avons desjà passé et en passons tant d’autres.

1580

Source: Essais

Nul bien nous peut apporter plaisir, si ce n’est celuy à la perte duquel nous sommes preparez.

1580

Source: Essais

Nostre appetit mesprise et outrepasse ce qui luy est en main, pour courir apres ce qu’il n’a pas.

1580

Source: Essais

Nous defendre quelque chose, c’est nous en donner envie [...]. Nous l’abandonner tout à faict, c’est nous en engendrer mespris.

1580

Source: Essais

Nous sommes tous creux et vuides : ce n’est pas de vent et de voix que nous avons à nous remplir ; il nous faut de la substance plus solide à nous reparer.

1580

Source: Essais

La vertu est chose bien vaine et frivole si elle tire sa recommendation de la gloire.

1580

Source: Essais

O la vile chose, [...] et abjecte, que l’homme, s’il ne s’esleve au dessus de l’humanité !

1580

Source: Essais

Je ne me soucie pas tant quel je sois chez autruy, comme je me soucie quel je sois en moy mesme. Je veux estre riche par moy, non par emprunt.

1580

Source: Essais

Quelque diversité d’herbes qu’il y ait, on les comprend toutes sous la dénomination de salade.

1580

Source: Essais

On dit communément qu’il y a avantage à avoir bon nom ou bon renom, c’est-à-dire du crédit et de la réputation ; il est également vrai qu’il est utile d’avoir un beau nom, qui soit facile à prononcer et à retenir.

1580

Source: Essais

Socrate estime que c’est un soin auquel un père doit s’attacher que de donner de beaux noms à ses enfants.

1580

Source: Essais

Rien qu’en les entendant prononcer, on sentait que c’étaient là des gens bien autres que Pierre, Guillot et Michel !

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Source: Essais

C’est une mauvaise habitude [...] qu’en France nous appelions chacun du nom de sa terre et de sa seigneurie ; c’est la chose du monde qui fait le plus que les races se mêlent et ne peuvent plus se distinguer.

1580

Source: Essais

De nos jours, je ne vois personne, porté par la fortune à un rang tant soit peu élevé, auquel on n’ait tout aussitôt découvert des titres généalogiques nouveaux et ignorés de son père.

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Source: Essais

Combien avons-nous de gentilshommes en France qui, d’après leur compte plus que d’après celui des autres, sont de race royale !

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Source: Essais

Contentons-nous donc, par Dieu ! de ce dont nos pères se sont contentés et de ce que nous sommes ; notre rang est suffisant, si nous savons nous y bien tenir.

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Source: Essais

Bannissons ces écarts d’imagination si ridicules, qui ne peuvent manquer de tourner à la confusion de quiconque a l’impudence d’avoir des prétentions qui ne sont pas fondées.

1580

Source: Essais

Pour Dieu, examinons de près et sondons sur quoi reposent cette gloire, cette réputation pour lesquelles nous bouleversons le monde ?

1580

Source: Essais

De quelle puissante faculté vraiment jouit l’espérance qui, chez un simple mortel embrassant l’infini, l’immensité, l’éternité, substitue [...] à une indigence absolue la possession illimitée de tout ce qu’il peut imaginer et souhaiter.

1580

Source: Essais

Mais, en fin de compte, qu’est-ce que Pierre ou Guillaume sinon un son ou encore trois ou quatre traits de plume [...].

1580

Source: Essais

Qu’est-ce qui empêche que mon palefrenier se nomme Pompée le Grand ?

1580

Source: Essais

Pour faire une obligation assurée, leur manière était de joindre étroitement leurs mains droites l’une à l’autre, et s’entrelacer les pouces [...].

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Source: Essais

Les médecins disent que les pouces sont les maîtres doigts de la main [...].

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Source: Essais

Les Grecs l’appellent ἀντίχειρ, comme qui dirait une autre main.

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Source: Essais

C’était à Rome une signification de faveur, de comprimer et baisser les pouces [...].

1580

Source: Essais

[...] et de défaveur, de les hausser et contourner au dehors.

1580

Source: Essais

Les Romains dispensaient de la guerre ceux qui étaient blessés au pouce, comme s’ils n’avaient plus la prise des armes assez ferme.

1580

Source: Essais

Auguste confisqua les biens à un chevalier Romain qui avait, par malice, coupé les pouces à deux siens jeunes enfants, pour les excuser d’aller aux armées.

1580

Source: Essais

Le Sénat [...] avait condamné Caius Vatienus à la prison perpétuelle et lui avait confisqué tous ses biens, pour s’être à escient coupé le pouce [...] pour s’exempter de ce voyage [militaire].

1580

Source: Essais

Quelqu'un [...] ayant gagné une bataille navale, fit couper les pouces à ses ennemis vaincus, pour leur ôter le moyen de combattre et de tirer la rame.

1580

Source: Essais

Les Athéniens les firent couper aux Éginètes pour leur ôter la préférence en l’art de la marine.

1580

Source: Essais

En Lacédémone, le maître châtiait les enfants en leur mordant le pouce.

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Source: Essais

Il se voit par expérience [...] que les mémoires excellentes se joignent volontiers aux jugements débiles.

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Source: Essais

D’un défaut naturel, on en fait un défaut de conscience.

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Source: Essais

Certes je puis aisément oublier : mais de mettre à nonchaloir la charge que mon ami m’a donnée, je ne le fais pas.

1580

Source: Essais

Mon parler en est plus court : car le magasin de la mémoire est volontiers plus fourni de matière que n’est celui de l’invention.

1580

Source: Essais

C’est chose difficile, de fermer un propos, et de le couper depuis qu’on est en route.

1580

Source: Essais

Surtout les vieillards sont dangereux, à qui la souvenance des choses passées demeure, et ont perdu la souvenance de leurs redites.

1580

Source: Essais

Il me souvient moins des offenses reçues [...] et les lieux et les livres que je revois, me rient toujours d’une fraîche nouveauté.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas sans raison qu’on dit, que qui ne se sent point assez ferme de mémoire, ne se doit pas mêler d’être menteur.

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Source: Essais

En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole.

1580

Source: Essais

La menterie seule, et un peu au-dessous, l’opiniâtreté, me semblent être celles desquelles on devrait à toute instance combattre la naissance et le progrès.

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Source: Essais

Si comme la vérité, le mensonge n’avait qu’un visage, nous serions en meilleurs termes [...]. Mais le revers de la vérité a cent mille figures, et un champ indéfini.

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Source: Essais

Les Pythagoriciens font le bien certain et fini, le mal infini et incertain. Mille routes dévient du but : une seule y va.

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Source: Essais

De combien le langage faux est-il moins sociable que le silence ?

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Source: Essais

[...] les mémoires excellentes se joignent volontiers aux jugements débiles.

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Source: Essais

Lorsqu’ils [les menteurs] déguisent et changent, à les remettre souvent au même conte, il est malaisé qu’ils ne se déferrent.

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Source: Essais

Nous allons perdant notre temps à nous préoccuper des choses futures, comme si nous n’avions pas assez à faire avec les incidents de la vie de chaque jour.

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Source: Essais

On ne gagne rien à connaître l’avenir et c’est malheureux de se tourmenter en vain.

1580

Source: Essais

Un dieu prudent nous a caché d’une nuit épaisse les événements de l’avenir, et se rit du mortel qui s’inquiète du destin plus qu’il ne doit.

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Source: Essais

Celui-là est maître de lui-même et passe heureusement la vie, qui peut dire chaque jour : « J’ai vécu ».

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Source: Essais

Satisfaits du présent, gardons-nous de nous inquiéter de l’avenir.

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Source: Essais

Quant à ceux qui entendent le langage des oiseaux [...] plutôt que leur raison, je tiens qu’il vaut mieux les écouter que les croire.

1580

Source: Essais

Pour le règlement de mes propres affaires, je préférerais m’en rapporter au sort des dés, plus qu’à l’interprétation des songes.

1580

Source: Essais

À force de dire, il faut bien que vérités et mensonges s’y rencontrent.

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Source: Essais

Quel est celui qui tirant à la cible toute la journée, n’atteindra pas quelquefois le but ?

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Source: Essais

Comme personne ne prend note de leurs erreurs, d’autant qu’elles sont en nombre infini [...], on a beau jeu à faire valoir ceux de leurs pronostics [...] qui par hasard viennent à se réaliser.

1580

Source: Essais

On montre les tableaux des rescapés de naufrages, mais ceux qui ont péri, et qui sont bien plus nombreux, n'en ont consacré aucun.

1580

Source: Essais

Nous avons vu certains esprits d’élite donner parfois, à leur grand dommage, dans ces idées folles.

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Source: Essais

Ce qui leur donne [...] beau jeu, c’est le langage obscur, ambigu, fantastique du jargon prophétique.

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Source: Essais

Chacun ressent parfois en lui-même semblable obsession d’idées, qui se produit subitement, avec force et sans cause appréciable.

1580

Source: Essais

Dans une âme [...] pure [...], il est vraisemblable que ces inspirations, quoique hardies et peu précises, étaient toujours de grande conséquence et méritaient d’être écoutées.

1580

Source: Essais

Le métier [d'un rhétoricien] est de faire paraître grandes les choses petites.

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Source: Essais

Ceux qui masquent les femmes font moins de mal que ceux qui font état de tromper non pas nos yeux, mais notre jugement.

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Source: Essais

Socrates et Platon [définissent la rhétorique comme un] art de tromper et de flatter.

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Source: Essais

[L'éloquence] est un outil qui ne s'emploie qu'aux États malades, comme la médecine.

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Source: Essais

L'éloquence a le plus fleuri quand les affaires étaient au plus mal, comme un champ libre et indompté porte les herbes les plus vigoureuses.

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Source: Essais

La facilité qui se trouve dans le peuple le rend sujet à être manipulé [...] par les oreilles au doux son de cette harmonie [de la rhétorique].

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Source: Essais

Il est plus aisé de se garantir de l'impression de ce poison [qu'est l'éloquence] par une bonne institution et de bons conseils.

1580

Source: Essais

Il m'a fait un discours sur la science de la gueule avec une contenance magistrale, comme s'il m'avait parlé d'un grand point de théologie.

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Source: Essais

Quand j'entends nos architectes s'enfler de gros mots [...], je trouve en comparaison que ce sont les chétives pièces de la porte de ma cuisine.

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Source: Essais

Métonymie, métaphore, allégorie [...]? Ce sont des titres qui touchent au babil de votre chambrière.

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Source: Essais

C'est une tromperie d'appeler les offices de notre État par les titres superbes des Romains, bien qu'ils n'aient aucune ressemblance de charge.

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Source: Essais

[C'est une erreur] d'employer indignement [...] les surnoms les plus glorieux dont l'Antiquité n'a honoré qu'un ou deux personnages en plusieurs siècles.

1580

Source: Essais

Je ne vois pas qu'il y ait en [lui] rien au-dessus des auteurs communs de son siècle, tant s'en faut qu'il approche de cette divinité ancienne.

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Source: Essais

Le surnom de 'Grand', nous l'attachons à des princes qui n'ont rien au-dessus de la grandeur populaire.

1580

Source: Essais

Je suis de ceux sur lesquels l’imagination a beaucoup d’empire. [...] Je passerais volontiers ma vie en compagnie de personnes bien portantes et d’humeur gaie.

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Source: Essais

La vue des angoisses des autres agit matériellement sur moi d’une façon pénible, et souvent j’ai souffert de sentir qu’un autre souffrait.

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Source: Essais

Je me pénètre d’une maladie sur laquelle je porte particulièrement mon attention, et en prends le germe.

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Source: Essais

Il est vraisemblable que le principal crédit des visions, des enchantements, et de tels effets extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination.

1580

Source: Essais

On leur a si fort saisi la créance, qu’ils pensent voir ce qu’ils ne voient pas.

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Source: Essais

La femme qui se couche avec un homme, doit avec sa cotte laisser la honte, et la reprendre avec sa cotte.

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Source: Essais

On a raison de remarquer l’indocile liberté de [cette partie du corps], s’ingérant si importunément lorsque nous n’en avons que faire, et défaillant si importunément lorsque nous en avons le plus affaire.

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Source: Essais

Je vous donne à penser s’il y a une seule des parties de notre corps qui ne refuse souvent son opération à notre volonté, et qui souvent ne s’exerce contre notre volonté.

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Source: Essais

Veut-elle [notre volonté] toujours ce que nous voudrions qu'elle voulût ? Ne veut-elle pas souvent ce que nous lui prohibons de vouloir, et à notre évident dommage ?

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Source: Essais

Les discours sont à moi, et se tiennent par la preuve de la raison, non de l’expérience ; chacun peut y joindre ses exemples.

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Source: Essais

Advenu ou non, à Rome ou à Paris, à Jean ou à Pierre, c’est toujours un tour de l’humaine capacité, duquel je suis utilement avisé par ce récit.

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Source: Essais

Dans l’étude de nos mœurs et mouvements, les témoignages fabuleux, pourvu qu’ils soient possibles, y servent comme les vrais.

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Source: Essais

Il n’est rien si contraire à mon style qu’une narration étendue. Je me recoupe si souvent, à faute d’haleine.

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Source: Essais

Pourquoi les médecins pratiquent-ils d'avance la crédulité de leur patient avec tant de fausses promesses de sa guérison, si ce n'est afin que l'effet de l'imagination supplée à l'imposture de leur potion ?

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Source: Essais

Vouloir en arriver à une certitude absolue est, en quelque sorte, un témoignage de folie et d’extrême incertitude.

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Source: Essais

Par quoi pouvons-nous mieux éprouver la raison que par elle-même ? Si nous ne pouvons l’en croire quand elle parle d’elle, elle n’est guère propre à apprécier ce qui n’est pas elle.

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Source: Essais

[...] la fantaisie humaine ne peut plus rien concevoir, ni en bien, ni en mal, qui n’y soit : « On ne peut rien dire de si absurde, qui n’ait déjà été dit par quelque philosophe ».

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Source: Essais

L’homme a un soin extrême de prolonger son être ; il y a pourvu de toutes façons : pour la conservation de son corps, par la sépulture ; pour celle de son nom, par la gloire.

1580

Source: Essais

L’âme ne pouvant, en raison de son trouble et de sa faiblesse, trouver le calme, va cherchant partout des consolations, des espérances, des appuis [...].

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Source: Essais

Tout ce que produisent notre raison seule et notre intelligence, aussi bien ce qui est vrai que ce qui est faux, est sujet à l’incertitude et à la discussion.

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Source: Essais

Notre esprit est un outil vagabond, dangereux et téméraire ; il est malaisé d’en user avec ordre et mesure.

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Source: Essais

L’esprit est un glaive dangereux, même pour celui qui l’a en sa possession, s’il ne sait s’en servir avec opportunité et discrétion.

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Source: Essais

Ce que j’admets aujourd’hui et ce que je crois [...] mais ne m’est-il pas arrivé, non pas une fois, mais cent fois, mais mille fois, et tous les jours, d’avoir embrassé [...] quelque autre chose que depuis j’ai jugée fausse ?

1580

Source: Essais

Quoi qu’on nous prêche, quoi que nous apprenions, il faudrait toujours nous souvenir que c’est l’homme qui le donne et l’homme qui le reçoit ; c’est la main d’un mortel qui nous présente, et la main d’un mortel qui accepte.

1580

Source: Essais

N’avons-nous pas l’esprit plus éveillé, la mémoire plus prompte, le raisonnement plus vif, quand nous nous portons bien, que lorsque nous sommes malades ?

1580

Source: Essais

En quelque bonne résolution que soit un juge, s’il ne se surveille de près [...], il peut être sollicité à la bienveillance s’il s’agit d’un ami, d’un parent, d’une beauté, comme aussi être hanté par une idée de vengeance.

1580

Source: Essais

Nous nous améliorons par la perte de notre raison et quand elle est assoupie ; les deux voies naturelles pour pénétrer dans le cabinet des dieux [...] sont la fureur et le sommeil.

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Source: Essais

Nous avons donc, quand s’offre à nous une doctrine nouvelle, tout lieu de nous en défier et de considérer qu’avant qu’elle se soit produite, la doctrine contraire prévalait.

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Source: Essais

Il ne faut pas juger de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas, suivant qu’il nous semble que c’est croyable ou incroyable.

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Source: Essais

C’est une grosse faute [...] en laquelle cependant tombent la plupart des hommes, de faire difficulté de croire que d’autres puissent savoir ou vouloir ce qu’euxmêmes ne savent pas ou ne veulent pas.

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Source: Essais

On dirait que chacun est le modèle par excellence de la nature humaine, que tous les autres doivent se régler d’après lui [...].

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Source: Essais

Il est bien malaisé d’assigner une limite aux facultés de l’âme, beaucoup plus qu’aux forces corporelles [...].

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Source: Essais

Ce que nous n’avons pas vu, il nous faut bien le tenir d’autrui et l’admettre à crédit.

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Source: Essais

Quant à moi, je considère certains hommes [...] comme m’étant bien supérieurs ; et, quoique je reconnaisse nettement mon impuissance à les suivre [...] je ne les perds pas de vue.

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Source: Essais

Si mes forces ne me permettent pas de les imiter, mon jugement du moins les étudie très volontiers.

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Source: Essais

L’opiniâtreté est sœur de la constance, au moins en vigueur et en fermeté.

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Source: Essais

[...] les actions les plus belles, les plus vertueuses, pas plus à la guerre qu'ailleurs, ne sont pas toujours celles qui ont le plus de renommée.

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Source: Essais

Je rencontre souvent les noms de capitaines qui sont éclipsés par la splendeur d’autres qui ne les valent pas.

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Source: Essais

C’est folie de vouloir porter un jugement unique, embrassant un ensemble de sujets pouvant être envisagés de tant de manières différentes.

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Source: Essais

[Il] ne les prend pas dans leur entier, qu’il n’émet aucune préférence d’ensemble ; il compare [...] certains épisodes, certaines particularités de leurs vies respectives et les juge séparément.

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Source: Essais

La fidélité et la sincérité de ses jugements égalent leur profondeur et leur valeur.

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Source: Essais

Tout ouvrier aime plus l’œuvre dont il est l’auteur, qu’il n’en serait aimé, si cette œuvre était capable de sentiment.

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Source: Essais

Les choses nous sont d’autant plus chères qu’elles nous ont coûté davantage, et donner a plus de prix que recevoir.

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Source: Essais

Seule la raison doit servir de règle à nos inclinations.

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Source: Essais

Une affection sincère et justifiée [...] devrait naître de la connaissance qu’ils nous donnent d’eux et croître avec elle pour alors, s’ils le méritent, [...] en arriver à les chérir d’une affection vraiment paternelle.

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Source: Essais

Il semble même que la jalousie de les voir faire bonne figure dans le monde [...] nous rende plus parcimonieux et avares à leur endroit.

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Source: Essais

Un père est bien malheureux si l’affection [...] que lui portent ses enfants, dépend du besoin qu’ils ont de lui.

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Source: Essais

C’est par la vertu et la capacité qu’on s’attire le respect, par la bonté et la douceur de ses mœurs qu’on se fait aimer.

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Source: Essais

Je suis opposé à toute violence dans l’éducation d’une âme jeune, que l’on veut dresser au culte de l’honneur et de la liberté. La rigueur et la contrainte ont quelque chose de servile.

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Source: Essais

Le seul effet que j’aie constaté dans l’emploi des verges, c’est de rendre les âmes plus lâches ou de les faire s’opiniâtrer dans le mal.

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Source: Essais

Chaque chose a son heure ; ce qui ne vient pas à son moment est à écarter.

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Source: Essais

Il n’est que temps de lâcher la bride à ton cheval devenu vieux, si tu ne veux pas qu’il [...] soit un objet de risée.

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Source: Essais

Alors même que je pourrais me faire craindre, je préférerais encore me faire aimer.

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Source: Essais

Tout ce qui touche mon prochain, me touche ; tout accident qui lui survient est pour moi un avertissement et appelle de ce côté mon attention.

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Source: Essais

Ce que notre âme engendre, ce qui naît de notre esprit [...] provient d’une plus noble partie de nous-mêmes que notre corps, et est encore plus nous que nos enfants.

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Source: Essais

Les sages ne s’y résolvent qu’une fois pour toutes, s’y préoccupant surtout de ce que commandent la raison et l’observation des lois.

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Source: Essais

Si nous employions le temps que nous mettons à contrôler autrui [...] à nous sonder nous-mêmes, nous sentirions aisément combien toute notre contexture est bâtie de pièces faibles et défaillantes.

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Source: Essais

N’est-ce pas un singulier témoignage d’imperfection, de ne pouvoir rasseoir notre contentement en aucune chose ?

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Source: Essais

[...] par désir même et imagination, il est hors de notre puissance de choisir ce qu’il nous faut.

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Source: Essais

La grande dispute [...] entre les Philosophes pour trouver le souverain bien de l’homme [...] dure encore et durera éternellement, sans résolution et sans accord.

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Source: Essais

Quoi que ce soit qui tombe en notre connaissance et jouissance, nous sentons qu’il ne nous satisfait pas.

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Source: Essais

[...] nous allons béant après les choses à venir et inconnues, d’autant que les présentes ne nous soûlent point.

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Source: Essais

Ce n'est pas que [les choses présentes] n’aient assez de quoi nous soûler, mais c’est que nous les saisissons d’une prise malade et déréglée.

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Source: Essais

Notre appétit est irrésolu et incertain : il ne sait rien tenir, ni rien jouir de bonne façon.

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Source: Essais

L’homme, estimant que ce soit le vice des choses, se remplit et se paît d’autres choses qu’il ne connaît point.

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Source: Essais

[L'homme] applique ses désirs et ses espérances aux choses inconnues, les prend en honneur et révérence.

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Source: Essais

Toute cette notre contexture est bâtie de pièces faibles et défaillantes.

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Source: Essais

C'est un défaut commun de la nature que nous ayons plus de confiance [...] des choses invisibles, cachées et inconnues.

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Source: Essais

Tant que la chose désirée est absente, elle semble l'emporter sur tout ; une fois obtenue, nous en désirons une autre, et la même soif nous tient.

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Source: Essais

[C'est] le vice du récipient même, qui fait que tout ce qu'on y met [...] s'y corrompt.

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Source: Essais

Il n’est desir plus naturel que le desir de cognoissance.

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Source: Essais

La ressemblance ne faict pas tant un, comme la difference faict autre.

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Source: Essais

Il y a autant de liberté et d’estendue à l’interpretation des loix, qu’à leur façon.

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Source: Essais

Les plus desirables [lois], ce sont les plus rares, plus simples, et generales. [...] il vaudroit mieux n’en auoir point du tout, que de les auoir en tel nombre que nous avons.

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Source: Essais

Il y a plus affaire à interpreter les interpretations, qu’à interpreter les choses : et plus de liures sur les liures, que sur autre subiect. Nous ne faisons que nous entregloser.

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Source: Essais

Jamais deux hommes ne iugerent pareillement de mesme chose. Et est impossible de voir deux opinions semblables exactement, non seulement en diuers hommes, mais en mesme homme, à diuerses heures.

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Source: Essais

Les hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit. Il ne faict que fureter et quester ; et va sans cesse, tournoyant, bastissant, et s’empestrant, en sa besongne, comme nos vers à soye, et s’y estouffe.

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Source: Essais

Nul esprit genereux, ne s’arreste en soy. Il pretend tousiours, et va outre ses forces.

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Source: Essais

Ie m’estudie plus qu’autre subiect. C’est ma metaphysique, c’est ma physique.

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Source: Essais

Le plus simplement se commettre à Nature, c’est s’y commettre le plus sagement. O que c’est vn doux et mol cheuet, et sain, que l’ignorance et l’incuriosité, à reposer vne teste bien faicte.

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Source: Essais

La vie de Cæsar n’a point plus d’exemple, que la nostre pour nous. [...] c’est tousiours vne vie, que tous accidents humains regardent.

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Source: Essais

Il faut apprendre, qu’on n’est qu’vn sot. Instruction bien plus ample, et importante.

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Source: Essais

L’affirmation et l’opiniastreté, sont signes exprez de bestise.

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Source: Essais

Il faict besoin d’oreilles bien fortes, pour s’ouyr franchement iuger.

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Source: Essais

Or les loix se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont iustes, mais par ce qu’elles sont loix. C’est le fondement mystique de leur authorité, elles n’en ont point d’autre.

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Source: Essais

Il se faut garder de s’attacher aux opinions vulgaires, et les faut juger par la voie de la raison, non par la voix commune.

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Source: Essais

J'ai peur que nous ayons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent.

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Source: Essais

Nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison, que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes.

1580

Source: Essais

Ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages.

1580

Source: Essais

Nous avons tant rechargé la beauté et richesse des ouvrages de [la Nature] par nos inventions, que nous l’avons du tout étouffée.

1580

Source: Essais

Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet [...] non pas la tissure de la chétive araignée.

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Source: Essais

Je ne suis pas marri que nous remarquions l’horreur barbare qu’il y a en une telle action, mais oui bien de ce que, jugeant à point de leurs fautes, nous soyons si aveuglés aux nôtres.

1580

Source: Essais

Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort ; à déchirer par tourments [...] un corps encore plein de sentiment [...] que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.

1580

Source: Essais

Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.

1580

Source: Essais

L’estimation et le prix d’un homme consiste au cœur et en la volonté : c’est là où gît son vrai honneur.

1580

Source: Essais

La vaillance, c’est la fermeté, non pas des jambes et des bras, mais du courage et de l’âme.

1580

Source: Essais

Celui qui tombe obstiné en son courage [...] il est battu, non pas de nous, mais de la fortune : il est tué, non pas vaincu.

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Source: Essais

L’honneur de la vertu consiste à combattre, non à battre.

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Source: Essais

Ils trouvaient estrange comme ces moitiés [nécessiteuses] ici pouvaient souffrir une telle injustice, qu’ils ne prissent les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons.

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Source: Essais

Je suis des plus exempts de cette passion [la tristesse], et ne l’ayme ny l’estime, quoy que le monde ayt prins [...] de l’honorer de faveur particuliere.

1580

Source: Essais

Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience : sot et monstrueux ornement.

1580

Source: Essais

[La tristesse] est une qualité tousjours nuisible, tousjours folle, et, comme tousjours couarde et basse[...].

1580

Source: Essais

Estant d’ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrieres de la patience.

1580

Source: Essais

[...] ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer.

1580

Source: Essais

[...] comme si nulle contenance ne pouvoit representer ce degré de dueil.

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Source: Essais

[C'est] cette morne, muette et sourde stupidité qui nous transit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre portée.

1580

Source: Essais

L’effort d’un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l’ame, et lui empescher la liberté de ses actions.

1580

Source: Essais

L’ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se demesler et se mettre plus au large, et à son aise.

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Source: Essais

Ce n’est pas en la vive et plus cuysante chaleur de l’accés que nous sommes propres à desployer nos plaintes [...]: l’ame est lors aggravée de profondes pensées.

1580

Source: Essais

Toutes passions qui se laissent gouster et digerer, ne sont que mediocres.

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Source: Essais

Les peines légères sont loquaces, les grandes peines sont muettes. [Curae leves loquuntur, ingentes stupent.]

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Source: Essais

La surprise d’un plaisir inespéré nous estonne de mesme.

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Source: Essais

Je suis peu en prise de ces violentes passions. J’ay l’apprehension naturellement dure ; et l’encrouste et espessis tous les jours par discours.

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Source: Essais

De peur que l’événement ne vienne à le démentir, mieux vaut passer outre.

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Source: Essais

Ce que nous appelons des monstres, n’en sont pas aux yeux de Dieu, qui voit dans l’immensité de ses œuvres l’infinité des formes.

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Source: Essais

Il est à croire que telle [figure] qui nous étonne, se rapporte à quelque autre de même genre, qui est inconnue à l’homme.

1580

Source: Essais

Tout ce qui émane de son infinie sagesse est beau et découle de règles générales ; mais la relation [...] nous échappe.

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Source: Essais

L’homme ne s’étonne pas de ce qu’il voit souvent, lors même qu’il en ignore la cause.

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Source: Essais

Ce qu’on n’a jamais vu, si cela arrive, on le considère comme un prodige.

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Source: Essais

Nous disons de ce qui diffère de ce que nous voyons d’ordinaire, que c’est contre nature.

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Source: Essais

Rien, quel qu’il soit, n’est que suivant ses lois [à la Nature].

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Source: Essais

Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l’erreur et l’étonnement que la nouveauté nous apporte.

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Source: Essais

Personne n’est exempt de dire des niaiseries, le mal est d’y mettre de la prétention.

1580

Source: Essais

Notre être est une agglomération de qualités qui sont autant de maladies : l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le désespoir...

1580

Source: Essais

Au milieu de la compassion, nous éprouvons en nous-mêmes je ne sais quel sentiment aigre-doux de volupté malsaine au spectacle des souffrances d’autrui.

1580

Source: Essais

En toute police il y a des offices nécessaires, non seulement abjects, mais encore vicieux. Les vices y trouvent leur rang [...], comme les venins à la conservation de notre santé.

1580

Source: Essais

Le bien public requiert qu’on trahisse, et qu’on mente, et qu’on massacre : résignons cette commission à des gens plus obéissants et plus souples.

1580

Source: Essais

La franchise et la vérité, en quelque siècle que ce soit, sont encore de mise et opportunes.

1580

Source: Essais

La colère et la haine n’ont rien à voir avec la justice ; ce sont des passions seruans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur deuoir, par la raison simple.

1580

Source: Essais

De se tenir chancelant et métis, de tenir son affection immobile et sans inclination aux troubles de son pays [...], je ne le trouve ni beau, ni honnête.

1580

Source: Essais

Il ne faut pas appeler devoir, comme nous le faisons tous les jours, une aigreur et une rudesse qu’engendrent en nous notre intérêt et nos passions personnelles.

1580

Source: Essais

Les gens à double visage sont utiles par ce qu’ils apportent, seulement il faut veiller à ce qu’ils n’emportent que le moins qu’il se peut.

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Source: Essais

Je ne veux pas être tenu pour un serviteur si affectionné, si loyal, que l’on me trouve bon à m’engager dans une trahison.

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Source: Essais

L'innocence même ne saurait, à notre époque, ni négocier sans dissimulation, ni marchander sans être obligée de mentir.

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Source: Essais

La voie de la vérité est une et simple ; celle du profit particulier [...] est double, inégale et fortuite.

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Source: Essais

C’est assez de tremper nos plumes dans l’encre, sans encore que nous les trempions dans le sang.

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Source: Essais

C’est à tort qu’on voudrait justifier l’honnêteté et la beauté d’une action par ce fait seul qu’elle est utile.

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Source: Essais

Philosopher, n’est autre chose que se préparer à la mort.

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Source: Essais

Toute la sagesse et la raison humaines aboutissent finalement à ce résultat, de nous apprendre à ne pas appréhender de mourir.

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Source: Essais

Quoi qu’en disent les philosophes, même dans la pratique de la vertu, le but de nos aspirations est la volupté.

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Source: Essais

Il n’est pas un plaisir, parmi ceux que nous connaissons, dont la recherche ne soit déjà par elle-même une satisfaction.

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Source: Essais

Un des principaux bienfaits de la vertu est de nous inspirer le mépris de la mort, ce qui nous permet de vivre dans une douce quiétude.

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Source: Essais

Le but de notre existence, c’est la mort ; c’est l’objectif fatal auquel nous tendons ; si elle nous effraie, comment pouvons-nous faire un pas en avant sans en avoir la fièvre ?

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Source: Essais

Jeunes et vieux ne quittent-ils pas la vie dans les mêmes conditions ? Nul n’en sort autrement que s’il ne faisait que d’y entrer.

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Source: Essais

Puisque [la mort] atteint immanquablement les fuyards [...], apprenons à l’attendre de pied ferme et à lutter contre elle.

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Source: Essais

Nous ne savons où la mort nous attend, attendons-la partout. Méditer sur la mort, c’est méditer sur la liberté ; qui a appris à mourir, a désappris la servitude.

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Source: Essais

À chaque minute il me semble que je touche à ma dernière heure, et je me répète sans cesse : « Ce qui arrivera fatalement un jour, peut arriver aujourd’hui. »

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Source: Essais

Je veux que la mort me trouve plantant mes choux, indifférent à sa venue, et plus encore à l’obligation dans laquelle elle me mettra de laisser mon jardinage inachevé.

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Source: Essais

Regretter de n’être plus dans cent ans, est aussi fou que si nous regrettions de n’être pas né cent ans plus tôt.

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Source: Essais

Votre vie a pour effet continu de vous conduire à la mort. Alors que vous êtes en vie, vous êtes constamment sous le coup de la mort.

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Source: Essais

La vie, par elle-même, n’est ni un bien, ni un mal ; elle devient un bien ou un mal, suivant ce que vous en agissez.

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Source: Essais

Tel a vécu longtemps, qui a peu vécu. Songez-y pendant que vous le pouvez, il dépend de vous et non du nombre de vos années que vous ayez assez vécu.

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Source: Essais

Les vices sont tous pareils en ce qu’ils sont tous vices [...] mais encore qu’ils soient également vices, ils ne sont pas égaux vices.

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Source: Essais

La confusion de l’ordre et mesure des pechez, est dangereuse : les meurtriers, les traistres, les tyrans, y ont trop d’acquest.

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Source: Essais

Le principal office de la sagesse est de distinguer les biens et les maux.

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Source: Essais

Il y a des vices, qui ont je ne sçay quoy de genereux [...] cestuy-cy [l'ivrognerie] est tout corporel et terrestre.

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Source: Essais

Le pire estat de l’homme, c’est où il pert la connoissance et gouvernement de soy.

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Source: Essais

Le vin faict desbonder les plus intimes secrets, à ceux qui en ont pris outre mesure.

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Source: Essais

Mon goust et ma complexion est plus ennemie de ce vice [l'ivrognerie], que mon discours.

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Source: Essais

Je trouve que ce vice [l'ivrognerie] couste moins à nostre conscience que les autres.

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Source: Essais

Le plaisir, duquel nous voulons tenir compte au cours de nostre vie, doit en employer plus d’espace.

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Source: Essais

Tant sage qu’il voudra, mais en fin c’est un homme : qu’est il plus caduque, plus miserable, et plus de neant ?

1580

Source: Essais

Il faut qu’il fremisse planté au bord d’un precipice, comme un enfant : Nature ayant voulu se reserver ces legeres marques de son authorité.

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Source: Essais

Toutes actions hors les bornes ordinaires sont subjectes à sinistre interpretation.

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Source: Essais

Nostre ame ne sçauroit de son siege atteindre si haut : il faut qu’elle le quitte, et s’esleve [...] et ravisse son homme, si loing, qu’apres il s’estonne luy-mesme de son faict.

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Source: Essais

Il n’y a profit pour personne, sans que ce ne soit aux dépens d’autrui.

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Source: Essais

À ce compte, tout gain de toute nature serait condamnable.

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Source: Essais

Le marchand ne fait bien ses affaires que parce que la jeunesse aime le plaisir.

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Source: Essais

Le laboureur [ne fait bien ses affaires] que lorsque le blé est cher.

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Source: Essais

L’architecte [ne prospère que] quand les maisons tombent en ruine.

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Source: Essais

Tout ce qui tient à la magistrature, vit de nos procès et de nos querelles.

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Source: Essais

Les ministres de la religion eux-mêmes tirent honneur et profit de notre mort et de nos faiblesses.

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Source: Essais

Aucun médecin [...] ne voit avec satisfaction ses amis eux-mêmes se bien porter.

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Source: Essais

[Aucun] soldat [ne voit avec satisfaction] son pays en paix avec les peuples voisins.

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Source: Essais

Chacun qui regarde en lui-même, y voit que la plupart des souhaits qu’il fait [...] ne se réalisent qu’aux dépens d’autrui.

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Source: Essais

Nos souhaits intérieurs pour la plupart naissent et se nourrissent aux dépens d'autrui.

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Source: Essais

En cela la nature ne se départit pas de son principe essentiel.

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Source: Essais

Toute chose ne naît, ne se développe et croît que par l’altération et la transformation d’une autre.

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Source: Essais

Dès qu’une chose quelconque change de manière d’être, il en résulte aussitôt la mort de ce qu’elle était auparavant.

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Source: Essais

Il voulait vivre, non selon les temps, selon les hommes, selon les affaires, mais selon lui.

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Source: Essais

On lui faisait goûter la science et le devoir, sans forcer sa volonté, [...] son père le faisait éveiller au son d’un instrument.

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Source: Essais

Pendant les troubles de sa province, [...] il fut peloté à toutes mains, aux uns gibelin, aux autres guelfe.

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Source: Essais

Ne pensez pas que sa mort ait été autre que le général de ses écrits.

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Source: Essais

Montaigne est un auteur qu’il n’est guère permis d’ignorer ; mais c’est peut-être aussi un des plus dangereux à étudier pour la jeunesse.

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Source: Essais

[On] admire dans Montaigne le piquant, l’imprévu de l’expression, l’étonnante originalité de la pensée, [et] cette fécondité inépuisable, qui lui fera redire vingt fois la même chose avec une verve toujours nouvelle.

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Source: Essais

Sauf un petit nombre d’hommes [...], personne ne lira les Essais d’un bout à l’autre, sans ressentir un profond ennui.

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Source: Essais

Pour [certains] philosophes, les Essais sont un arsenal où se trouvent à peu près toutes les armes qu’ils désirent tourner contre la religion et la morale.

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Source: Essais

[Montaigne:] Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention. [...] je me contredis bien à l’aventure ; mais la vérité, je ne la contredis point.

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Source: Essais

[Montaigne:] Mon âme est toujours en apprentissage et en épreuve.

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Source: Essais

[Montaigne:] Je m’entraîne quasi où je penche, comment que ce soit, et m’emporte de mon poids.

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Source: Essais

[Pascal sur Montaigne:] Ses sentiments sur la mort sont horribles. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir.

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Source: Essais

[Pascal sur Montaigne:] Il ne pense qu’à mourir lâchement et mollement par tout son livre.

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Source: Essais

[Nicole sur Montaigne:] Il a très-bien découvert le néant de la grandeur et l’inutilité des sciences.

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Source: Essais

[Nicole sur Montaigne:] Il a conclu qu’il n’y avait [...] rien à faire, qu’à tâcher de passer agréablement le petit espace qui nous est donné.

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Source: Essais

Quand j’écris, je n’ai recours ni aux livres, ni aux souvenirs que j’en conserve, de peur qu’ils n’influencent ma manière d’écrire [...].

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Source: Essais

Je corrige bien une erreur accidentelle [...], mais les imperfections journalières et à l’état d’habitude qui sont en moi, ce serait de la déloyauté de les faire disparaître.

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Source: Essais

J’en suis arrivé à ce que je voulais, puisque tout le monde me reconnait dans mon livre, et le retrouve en moi.

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Source: Essais

Ce qui me contrarie, c’est que mon âme s’abandonne d’ordinaire à ses plus profondes rêveries [...] à l’improviste, lorsque je les recherche le moins, et qu’elles s’évanouissent subitement, parce que je n’ai rien sous la main pour les fixer.

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Source: Essais

L’amour n’est que la soif, qui nous tient, de la jouissance que nous éprouvons avec qui est l’objet de nos désirs.

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Source: Essais

On se cache et on se confine pour construire un homme, pour le détruire on recherche le grand jour et de vastes étendues.

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Source: Essais

Sommes-nous assez brutes de qualifier de brutal un acte auquel nous devons l’existence !

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Source: Essais

Quel monstrueux animal que l’homme ; il se fait horreur à lui-même ; ses plaisirs lui sont à charge, il recherche le mal !

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Source: Essais

Nous ne sommes ingénieux qu’à nous malmener ; c’est à cela surtout que nous appliquons toutes les ressources de notre esprit, qui est un bien dangereux instrument de déréglement.

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Source: Essais

Hé ! pauvre homme ! tu as bien assez d’incommodités que tu es obligé de subir, sans les accroître encore par tes inventions !

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Source: Essais

Qui dit tout, nous soûle et nous dégoûte. Celui qui, au contraire, regarde à s’exprimer, nous porte à en penser plus qu’il n’y en a.

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Source: Essais

Celui qui n’a de jouissance que dans la jouissance, qui ne veut gagner que le gros lot, qui n’aime la chasse que pour ce qu’il y prend, n’est pas de notre école.

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Source: Essais

Notre vie est faite partie de folie, partie de circonspection ; qui ne traite que de ce qui est considéré comme convenable et régulier, en laisse de côté plus de la moitié.

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Source: Essais

Je hais presque au même degré une oisiveté croupissante et endormie, qu’une occupation ardue et pénible ; celle-ci m’agite, celle-là m’assoupit.

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Source: Essais

Mâles et femelles sortent du même moule et que, sauf leur éducation et les mœurs, la différence n’en est pas grande.

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Source: Essais

Il est bien aisé à verifier, que les grands autheurs, escriuans des causes, ne se seruent pas seulement de celles qu’ils estiment estre vrayes, mais de celles encores qu’ils ne croient pas, pourueu qu’elles ayent quelque inuention et beauté.

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Source: Essais

Nous ne pouuons nous asseurer de la maistresse cause, nous en entassons plusieurs, pour voir si par rencontre elle se trouuera en ce nombre.

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Source: Essais

Il n’est rien qui nous iette tant aux dangers, qu’vne faim inconsideree de nous en mettre hors.

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Source: Essais

La preuoyance conuient egallement à ce qui nous touche en bien, et en mal. Considerer et iuger le danger, est aucunement le rebours de s’en estonner.

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Source: Essais

Qui auroit faict perdre pied à mon ame, ne la remettroit iamais droicte en sa place. Elle se retaste et recherche trop vifuement et profondement.

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Source: Essais

Qui aura esté vne fois bien fol, ne sera nulle autre fois bien sage.

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Source: Essais

C’est vne espece de pusillanimité, aux monarques, [...] de trauailler à se faire valloir et paroistre, par despenses excessiues.

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Source: Essais

La liberalité mesme n’est pas bien en son lustre en main souueraine [...] vn Roy n’a rien proprement sien ; il se doibt soy-mesmes à autruy.

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Source: Essais

Nous n’allons point, nous rodons plustost, et tourneuirons çà et là nous nous promenons sur nos pas. Ie crains que nostre cognoissance soit foible en tous sens.

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Source: Essais

Il n’y a rien de seul et de rare, eu esgard à Nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoisance qui est vn miserable fondement de nos regles [...].

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Source: Essais

Nostre monde vient d’en trouuer vn autre [...] si nouueau et si enfant, qu’on luy apprend encore son a, b, c.

1580

Source: Essais

Nous nous sommes seruis de leur ignorance, et inexperience, à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, auarice, et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et patron de nos meurs.

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Source: Essais

Tant de villes rasees, tant de nations exterminees, tant de millions de peuples, passez au fil de l’espce, et la plus riche et belle partie du monde bouleuersee, pour la negotiation des perles et du poiure. Mechaniques victoires.

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Source: Essais

la pluspart de nos actions ne soient que masque et fard [...].

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Source: Essais

Au jugement de ces accidens il faut considerer comme nos ames se trouvent souvent agitées de diverses passions.

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Source: Essais

En nos ames, bien qu’il y ait divers mouvemens qui l’agitent, si faut-il qu’il y en ait un à qui le champ demeure.

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Source: Essais

Pour la volubilité et soupplesse de nostre ame, les plus foibles [passions] par occasion ne regaignent encor la place et ne facent une courte charge à leur tour.

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Source: Essais

Nous voyons non seulement les enfans, qui vont tout naifvement apres la nature, pleurer et rire souvent de mesme chose.

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Source: Essais

Nul d’entre nous ne se peut vanter [...] que encore au départir de sa famille et de ses amis il ne se sente frissonner le courage.

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Source: Essais

Il n’est pas estrange de plaindre celuy-là mort, qu’on ne voudroit aucunement estre en vie.

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Source: Essais

Quand je tance avec mon valet, je tance du meilleur courage que j’aye [...] mais, cette fumée passée, qu’il ayt besoing de moy, je luy bien feray volontiers : je tourne à l’instant le fueillet.

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Source: Essais

Si ce n’estoit la contenance d’un fol de parler seul, il n’est jour au quel on ne m’ouist gronder en moy-mesme et contre moy.

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Source: Essais

Qui pour me voir une mine tantost froide, tantost amoureuse envers ma femme, estime que l’une ou l’autre soit feinte, il est un sot.

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Source: Essais

Ainsi eslance nostre ame ses pointes diversement et imperceptiblement.

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Source: Essais

Nous avons poursuivy avec resolue volonté la vengeance d’une injure, et resenty un singulier contentement de la victoire, nous en pleurons pourtant.

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Source: Essais

Nostre ame regarde la chose d’un autre œil, et se la represente par un autre visage : car chaque chose a plusieurs biais et plusieurs lustres.

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Source: Essais

Voulans de toute cette suite continuer un corps, nous nous trompons.

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Source: Essais

J'observe en mes voyages [...] d'apprendre toujours quelque chose par la communication d’autrui (qui est une des plus belles écoles qui puisse être).

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Source: Essais

[Je cherche à] ramener toujours ceux avec qui je confère, aux propos des choses qu’ils savent le mieux.

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Source: Essais

Il advient le plus souvent [...] que chacun choisit plutôt à discourir du métier d’un autre que du sien, estimant que c’est autant de nouvelle réputation acquise.

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Source: Essais

Ainsi il faut travailler de rejeter toujours l’architecte, le peintre, le cordonnier, [...] chacun à son gibier.

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Source: Essais

À la lecture des histoires, qui est le sujet de toutes gens, j’ai accoutumé de considérer qui en sont les écrivains.

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Source: Essais

L’office du serviteur [est] de fidèlement représenter les choses en leur entier, [...] afin que la liberté d’ordonner, juger et choisir, demeurât au maître.

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Source: Essais

Lui altérer ou cacher la vérité, de peur qu’il ne la prenne autrement qu’il ne doit [...] appartient à celui qui donne la loi, non à celui qui la reçoit.

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Source: Essais

Je ne voudrais pas être servi de cette façon en mon petit fait.

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Source: Essais

Nous nous soustrayons si volontiers du commandement, sous quelque prétexte, et usurpons sur la maîtrise.

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Source: Essais

Au supérieur nulle utilité ne doit être chère [...] comme lui doit être si chère leur simple et naïve obéissance.

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Source: Essais

On corrompt l’office du commander, quand on y obéit par discrétion, non par sujétion.

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Source: Essais

Cette obéissance si contrainte n’appartient qu’aux commandements précis et préfix.

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Source: Essais

[Les subordonnés] n’exécutent pas simplement, mais forment aussi et dressent par leur conseil la volonté du maître.

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Source: Essais

Les hommes d’entendement accusent [...] l’usage [...] de tailler les morceaux si courts à leurs agents qu’aux moindres choses ils eussent à recourir à leur ordonnance.

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Source: Essais

Personne n’est exempt de dire des fadaises. Le malheur est de les dire curieusement.

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Source: Essais

Notre bâtiment, et public et privé, est plein d’imperfection. Mais il n’y a rien d’inutile en nature ; non pas l’inutilité même.

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Source: Essais

Notre être est cimenté de qualités maladives ; l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le désespoir, logent en nous d’une si naturelle possession que l’image s’en reconnaît aussi aux bêtes.

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Source: Essais

Le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre ; résignons cette commission à gens plus obéissants et plus souples.

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Source: Essais

La naïveté et la vérité pure, en quelque siècle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise.

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Source: Essais

La colère et la haine sont au delà du devoir de la justice, et sont passions servant seulement à ceux qui ne tiennent pas assez à leur devoir par la raison simple.

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Source: Essais

Je suivrai le bon parti jusques au feu, mais exclusivement si je puis.

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Source: Essais

Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre [...] mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure.

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Source: Essais

Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition.

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Source: Essais

Si le monde se plaint de quoi je parle trop de moi, je me plains de quoi il ne pense seulement pas à soi.

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Source: Essais

Le vice laisse comme un ulcère en la chair, une repentance en l’âme, qui toujours s’égratigne et s’ensanglante elle-même.

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Source: Essais

De fonder la récompense des actions vertueuses sur l’approbation d’autrui, c’est prendre un trop incertain et trouble fondement.

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Source: Essais

J’ai mes lois et ma cour pour juger de moi, et m’y adresse plus qu’ailleurs. Je restreins bien selon autrui mes actions, mais je ne les étends que selon moi.

1580

Source: Essais

Gagner une brêche, conduire une ambassade, régir un peuple, ce sont actions éclatantes. Tancer, rire, vendre, payer, aimer, haïr et converser avec les siens et avec soi-même doucement et justement [...] c’est chose plus rare, plus difficile et moins remarquable.

1580

Source: Essais

Nostre principale suffisance, c’est savoir s’appliquer à divers usages. C’est être, mais ce n’est pas vivre, que se tenir attaché et obligé par necessité à un seul train.

1580

Source: Essais

De quelle vanité nous peut-il partir, de loger au dessoubs de nous, et d’interpreter desdaigneusement les effects que nous ne pouvons imiter ny comprendre ?

1580

Source: Essais

Il est vraisemblable que nous ne savons guère que c’est que beauté en nature et en général, puisque à l’humaine et nôtre beauté nous donnons tant de formes diverses [...].

1580

Source: Essais

Certes quand j’imagine l’homme tout nu [...] ses tares, sa subjection naturelle, et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal, de nous couvrir.

1580

Source: Essais

Nous nous attribuons des biens imaginaires et fantastiques, des biens futurs et absens [...], et à eux [les animaux], nous laissons en partage des biens essentiels, maniables et palpables, la paix, le repos, la securité, l’innocence et la santé.

1580

Source: Essais

Nous avons pour notre part, l’inconstance, l’irrésolution, l’incertitude, le deuil, la superstition, la solicitude des choses à venir [...], l’ambition, l’avarice, la jalousie, l’envie, les appetits déréglés [...], la guerre, la mensonge, la déloyauté, la détraction, et la curiosité.

1580

Source: Essais

Certes nous avons étrangement surpayé ce beau discours [la raison], de quoi nous nous glorifions, [...] si nous l’avons achetée au prix de ce nombre infini des passions, auxquelles nous sommes incessamment en prinse.

1580

Source: Essais

J’ai vu en mon temps, cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l’université : et lesquels j’aimerais mieux ressembler.

1580

Source: Essais

La première loi, que Dieu donna jamais à l’homme, ce fut une loi de pure obéissance [...], d’autant que l’obéir est le propre office d’une âme raisonnable.

1580

Source: Essais

Il semble à la verité, que nature, pour la consolation de notre état misérable et chétif, ne nous ait donné en partage que la présomption.

1580

Source: Essais

Tant qu’il pensera avoir quelque moyen et quelque force de soi, jamais l’homme ne reconnaîtra ce qu’il doit à son maître.

1580

Source: Essais

Lors que les vrais maux nous faillent, la science nous prête les siens.

1580

Source: Essais

Notre bien être, ce n’est que la privation d’être mal.

1580

Source: Essais

Il est advenu aux gens véritablement savants, ce qui advient aux épis de blés : ils vont s'élevant et se haussant la tête droite et fière, tant qu’ils sont vides ; mais quand ils sont pleins et grossis [...], ils commencent à s’humilier.

1580

Source: Essais

L’ignorance qui se sait, qui se juge, et qui se condamne, ce n’est pas une entière ignorance : Pour l’être, il faut qu’elle s’ignore soi-même.

1580

Source: Essais

Ce sont icy mes fantasies, par lesquelles je ne tasche point à donner à connoistre les choses, mais moy.

1580

Source: Essais

Et si je suis homme de quelque leçon, je suis homme de nulle retention.

1580

Source: Essais

La reconnoissance de l’ignorance est l’un des plus beaux et plus seurs tesmoignages de jugement que je trouve.

1580

Source: Essais

Mon dessein est de passer doucement, et non laborieusement ce qui me reste de vie. Il n’est rien pourquoy je me vueille rompre la teste : non pas pour la science [...].

1580

Source: Essais

Je ne cherche aux livres qu’à m'y donner du plaisir par un honneste amusement : ou si j’estudie, je n’y cherche que la science qui traicte de la connoissance de moy-mesmes, et qui m’instruise à bien mourir et à bien vivre.

1580

Source: Essais

Les difficultez, si j’en rencontre en lisant, je n’en ronge pas mes ongles : je les laisse là, apres leur avoir faict une charge ou deux.

1580

Source: Essais

Je ne fay rien sans gayeté : et la continuation et contention trop ferme esblouït mon jugement, l’attriste, et le lasse.

1580

Source: Essais

Si ce livre me fasche, j’en prens un autre, et ne m’y addonne qu’aux heures, où l’ennuy de rien faire commence à me saisir.

1580

Source: Essais

Ce que j’en opine, c’est aussi pour declarer la mesure de ma veuë, non la mesure des choses.

1580

Source: Essais

Pour moy, qui ne demande qu’à devenir plus sage, non plus sçavant ou eloquent, ces ordonnances logiciennes et Aristoteliques ne sont pas à propos.

1580

Source: Essais

J’ay une singuliere curiosité [...] de connoistre l’ame et les naïfs jugemens de mes autheurs.

1580

Source: Essais

Les seules bonnes histoires sont celles, qui ont esté escrites par ceux mesmes qui commandoient aux affaires, ou qui estoient participans à les conduire [...].

1580

Source: Essais

[Les historiens] d'entre-deux [...] nous gastent tout : ils veulent nous mascher les morceaux ; ils se donnent loy de juger et par consequent d’incliner l’Histoire à leur fantasie.

1580

Source: Essais

Il y a plus de distance de tel homme à tel autre, qu’il n’y a de tel homme à telle bête.

1580

Source: Essais

C’est merveille que, sauf nous, aucune chose ne s’estime que par ses propres qualités.

1580

Source: Essais

Pourquoi n'estimons-nous pas un homme par ce qui est sien ? Il a un grand train, un beau palais, tant de crédit [...] tout cela est autour de lui, non en lui.

1580

Source: Essais

Il faut juger l'homme par lui-même et non sur ses atours.

1580

Source: Essais

Savez-vous pourquoi vous l'estimez grand ? Vous y comptez la hauteur de ses patins. La base n’est pas de la statue.

1580

Source: Essais

Mesurez-le sans ses échasses. Qu'il mette à part ses richesses et honneurs, et qu'il se présente en chemise.

1580

Source: Essais

Quelle âme a-t-il ? Est-elle belle, capable [...] ? Est-elle riche du sien, ou de l'autrui ? La fortune y a-t-elle prise ?

1580

Source: Essais

Un tel homme est [...] au-dessus des Royaumes et des Duchés : il est lui-même à soi son empire.

1580

Source: Essais

Il est bien plus aisé et plus plaisant de suivre que de guider [...] c'est un grand repos d'esprit de n'avoir qu'à tenir une voie tracée et à ne répondre que de soi.

1580

Source: Essais

Qui ne se donne loisir d'avoir soif, ne saurait prendre plaisir à boire.

1580

Source: Essais

Il n'est rien si empêchant, si dégoûtant que l'abondance.

1580

Source: Essais

Chacun craint d'être épié et contrôlé : [les puissants] le sont jusques à leurs contenances et à leurs pensées.

1580

Source: Essais

Quel témoignage d'affection puis-je tirer de celui qui me doit, veuille ou non, tout ce qu'il peut ?

1580

Source: Essais

Pourquoi ne vous logez-vous dès cette heure où vous dites aspirer, et ne vous épargnez-vous tant de travail et de hasard que vous jetez entre-deux ?

1580

Source: Essais

La diversité des mœurs d’une nation à l’autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

J'observe en mes voyages cette pratique [...] d'apprendre toujours quelque chose par la communication d'autrui, qui est une des plus belles écoles qui puisse être.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je suis d'avis qu'il faut se prêter aux coutumes du lieu où l'on se trouve.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

La commodité d'une auberge, pour moi, c'est le lit ; car, hors du manger et du coucher, tous mes autres moments sont hors de l'auberge.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

On ne voit rien de Rome que le ciel sous lequel elle a été assise, et le plan de son gîte.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je ne sais point de si bonne chère qui vaille la peine de la manger seul.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

J’ai honte de le dire, mais nous avons peine à quitter cette liberté de commander et d’être obéi.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

À Rome, les courtisanes se montrent avec un art et une magnificence qui les font paraître des princesses.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je me laissais si bien aller aux lois communes que j'aimais mieux qu'on me dérobât mon argent que ma nuit.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[Les Suisses] ont cette bonne coutume [...] de ne jamais vous forcer à boire ni à manger plus que vous ne voulez.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

J’ai vu en quelque lieu des maisons bâties de cette façon, que le maître de la maison pouvait tourner sa maison et la mettre à tous les vents.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le principal but de mon voyage était de voir Rome.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

L’irresolution me semble le plus commun et apparent vice de nostre nature.

1580

Source: Essais

Je croy des hommes plus mal aisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l’inconstance.

1580

Source: Essais

Nous flottons entre divers advis : nous ne voulons rien librement, rien absoluëment, rien constamment.

1580

Source: Essais

Si je parle diversement de moy, c’est que je me regarde diversement.

1580

Source: Essais

Nous sommes tous de lopins, et d’une contexture si informe et diverse, que chaque piece, chaque moment, faict son jeu.

1580

Source: Essais

Le pire estat de l’homme, c’est où il pert la connoissance et gouvernement de soy.

1580

Source: Essais

Il se trouve autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à autruy.

1580

Source: Essais

La vie despend de la volonté d’autruy, la mort de la nostre.

1580

Source: Essais

C’est contre nature, que nous nous mesprisons et mettons nous mesmes à nonchaloir ; c’est une maladie particuliere [...] de se hayr et desdaigner.

1580

Source: Essais

A mourir, qui est la plus grande besoigne que nous ayons à faire, l’exercitation ne nous y peut ayder. [...] nous y sommes tous apprentifs quand nous y venons.

1580

Source: Essais

Plusieurs choses nous semblent plus grandes par imagination, que par effect.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas icy ma doctrine, c’est mon estude : et n’est pas la leçon d’autruy, c’est la mienne.

1580

Source: Essais

Ce ne sont mes gestes que j’escris ; c’est moy, c’est mon essence.

1580

Source: Essais

Souvent on pense avoir quitté les affaires, on ne les a que changées.

1580

Source: Essais

L’ambition, l’avarice, l’irrésolution, la peur et les concupiscences, ne nous abandonnent point pour changer de contrée.

1580

Source: Essais

Suffit-il donc de fuir sa patrie, pour se fuir soi-même ?

1580

Source: Essais

Ce n’est pas assez de s’être écarté du peuple ; [...] il se faut écarter des conditions populaires, qui sont en nous : il se faut séquestrer et ravoir de soi.

1580

Source: Essais

Notre mal nous tient en l’âme, or elle ne se peut échapper à elle-même.

1580

Source: Essais

C’est la vraie solitude, et qui se peut jouir au milieu des villes et des cours des Rois.

1580

Source: Essais

Certes l’homme d’entendement n’a rien perdu, s’il a soi-même.

1580

Source: Essais

Il se faut réserver une arrière-boutique, toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissions notre vraie liberté et principale retraite et solitude.

1580

Source: Essais

Nous avons une âme contournable en soi-même ; elle se peut faire compagnie.

1580

Source: Essais

Qui ne contrechange volontiers la santé, le repos, et la vie, à la réputation et à la gloire ? La plus inutile, vaine et fausse monnaie, qui soit en notre usage.

1580

Source: Essais

C’est assez vécu pour autrui, vivons pour nous au moins ce bout de vie.

1580

Source: Essais

La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi.

1580

Source: Essais

La gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger en même gîte.

1580

Source: Essais

Ce n’est plus ce qu’il vous faut chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que vous parliez à vous-mêmes.

1580

Source: Essais

Retirez-vous en vous, mais préparez-vous premièrement de vous y recevoir : ce serait folie de vous fier à vous-mêmes, si vous ne vous savez gouverner.

1580

Source: Essais

Penſe qu’un bon vainqueur [...] son nouveau priſonnier, quand d'un coup il ſe rend, il le priſe & l’ayme mieux, s’il a bien combatu.

1580

Source: Essais

C’eſt amour [...] la poiſon la plus forte, à qui onq pauvre cœur ait ouverte la porte.

1580

Source: Essais

S’il ſe faut rendre, alors il eſt ſaiſon, quand on n’a plus devers ſoy la raiſon.

1580

Source: Essais

Il faut à ce grand Roy [l'Amour], quand il a tort, que la raiſon luy ſerve.

1580

Source: Essais

Auſſi qu’eſt-il plus beau, qu’une amitié fidelle ?

1580

Source: Essais

Ô bienheureux & bienheureux encore qui ſans relache eſt toujours malheureux.

1580

Source: Essais

Les commentaires de César devraient [...] être le bréviaire de tout homme de guerre, car il est le vrai et souverain modèle en art militaire.

1580

Source: Essais

Pour rassurer ses troupes effrayées [...], il leur exagérait lui-même la supériorité de l'ennemi.

1580

Source: Essais

Il accoutumait ses soldats à obéir, sans se mêler de contrôler ou de discuter les projets de leur chef.

1580

Source: Essais

C’est le talent le plus essentiel d’un capitaine que de savoir saisir les occasions quand elles se présentent et de faire diligence.

1580

Source: Essais

Il ne demandait à ses soldats, en fait de vertu, que d’être vaillants, et ne punissait guère chez eux que la mutinerie et la désobéissance.

1580

Source: Essais

Il aimait que ses soldats fussent richement armés [...] afin que, soucieux de les conserver, ils missent plus d’énergie à les défendre.

1580

Source: Essais

Il apaisait les désordres plus par son autorité et en payant d’audace, que par la douceur.

1580

Source: Essais

Il disait d’habitude qu’il préférait une victoire obtenue en négociant, que remportée de vive force.

1580

Source: Essais

Il me semble lire en plusieurs de ses exploits, une certaine résolution de se perdre, pour fuir la honte d’être vaincu.

1580

Source: Essais

[De tels hommes] ont une confiance surnaturelle dans leur fortune ; aussi, disait-il qu’il fallait exécuter, non pas consulter les hautes entreprises.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas le nombre des hommes, mais celui des hommes propres à combattre qui donne l’avantage, le reste cause plus de trouble qu’il n’apporte d’aide.

1580

Source: Essais

Celui qui commande à tout un pays ne doit jamais s’immobiliser [...] il doit conserver sa liberté de mouvements, afin de pourvoir à la direction de toutes les parties.

1580

Source: Essais

[Un chef] ne doit pas compromettre la si haute renommée qu'il doit à tant de victoires, et qu'une seule défaite pourrait lui faire perdre.

1580

Source: Essais

La passion nous commande bien plus vivement que la raison.

1580

Source: Essais

Les soldats de César avaient coutume de donner la vie aux autres, et non de la recevoir d’eux.

1580

Source: Essais

Je ne veux pourtant pas que, de peur de tomber dans cet excès [de la présomption], [...] un homme se méconnaisse et s’estime moins qu’il ne vaut ; notre jugement doit en tout conserver sa rectitude.

1580

Source: Essais

Tout chez nous est convention ; les conventions nous emportent et nous font délaisser la réalité des choses ; nous nous accrochons aux branches et lâchons le tronc et la partie essentielle.

1580

Source: Essais

La philosophie ne me paraît jamais avoir si beau jeu que lorsqu’elle combat notre présomption et notre vanité, et quand elle reconnait de bonne foi son irrésolution, sa faiblesse et son ignorance.

1580

Source: Essais

Il me semble que l’origine des erreurs les plus grandes que nous commettons, [...] c’est la trop bonne opinion que l’homme a de lui-même.

1580

Source: Essais

Je suis envieux du bonheur de ceux qui savent être heureux et satisfaits de ce qu’ils font, car c’est là un moyen facile de se donner du plaisir puisqu’on le tire de soi.

1580

Source: Essais

Il s’en faut tant que mes ouvrages me satisfassent, qu’autant de fois je les retouche, aussi souvent j’en éprouve du dépit.

1580

Source: Essais

Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même ; je me soumets à eux, ne pouvant les soumettre à moi.

1580

Source: Essais

On réussit peu à arriver à de hautes situations, sans commencer à aventurer ce que l’on possède [...]. C'est folie de lâcher ce que l’on tient, dans l’espoir incertain de l’augmenter.

1580

Source: Essais

Il ne faut pas toujours dire tout, ce serait sottise ; mais ce que l’on dit, doit être tel qu’on le pense ; autrement, c’est mal.

1580

Source: Essais

Dans les affaires publiques, il n’est pas de direction, si mauvaise qu’elle soit, qui, si elle est constamment suivie [...], ne soit préférable à des changements occasionnant des bouleversements.

1580

Source: Essais

Le monde regarde toujours en face de lui ; moi, je replie ma vue en dedans de moi-même, je l’y retiens et l’y amuse. Chacun regarde devant soi, [...] moi, je m’y roule.

1580

Source: Essais

Nous convenons assez facilement chez les autres de leur supériorité en fait de courage, de leur force corporelle, [...] mais ne concédons à personne celle du jugement.

1580

Source: Essais

L’estime que chacun cherche à acquérir par un esprit vif et prompt, je prétends y arriver par un esprit bien réglé.

1580

Source: Essais

Je vous veux montrer combien la religion que je tiens est plus douce que celle de quoi vous faites profession. La vôtre vous a conseillé de me tuer sans m’ouïr [...], et la mienne me commande que je vous pardonne.

1580

Source: Essais

Pourquoi vis-tu, s’il importe à tant de gens que tu meures ? [...] Ta vie vaut-elle que tant de dommage se fasse pour la conserver ?

1580

Source: Essais

Quand les recettes accoutumées ne peuvent servir, [les médecins] en essaient de contraires. Par sévérité, tu n’as [...] rien profité : commence à expérimenter comment te succéderont la douceur et la clémence.

1580

Source: Essais

Tant c’est chose vaine et frivole que l’humaine prudence ! Et au travers de tous nos projets, de nos conseils et précautions, la fortune maintient toujours la possession des événements.

1580

Source: Essais

Je laisse faire nature et présuppose qu’elle se soit pourvue de dents et de griffes, pour se défendre des assauts qui lui viennent [...].

1580

Source: Essais

Non en la médecine seulement, mais en plusieurs arts plus certaines, la fortune y a bonne part.

1580

Source: Essais

Un suffisant lecteur découvre souvent aux esprits d’autrui des perfections autres que celles que l’auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches.

1580

Source: Essais

Tout ce que notre sagesse peut, ce n’est pas grand’chose : plus elle est aiguë et vive, plus elle trouve en soi de faiblesse et se défie d’autant plus d’elle-même.

1580

Source: Essais

Le plus sûr [...] est [...] de se rejeter au parti où il y a plus d’honnêteté et de justice ; et, puisqu’on est en doute du plus court chemin, tenir toujours le droit.

1580

Source: Essais

Combien est-il malaisé de se garantir d’un ennemi qui est couvert du visage du plus officieux ami que nous ayons, et de connaître les volontés et pensements intérieurs de ceux qui nous assistent !

1580

Source: Essais

La prudence, si tendre et circonspecte, est mortelle ennemie des hautes exécutions.

1580

Source: Essais

La crainte et la défiance attirent l’offense et la convient.

1580

Source: Essais

La hardiesse [...] se représente, quand il est besoin, aussi magnifiquement en pourpoint qu’en armes, en un cabinet qu’en un camp, le bras pendant que le bras levé.

1580

Source: Essais

C’est un excellent moyen de gagner le cœur et volonté d’autrui, de s’y aller soumettre et fier, pourvu que ce soit librement [...] et qu’on y porte une fiance pure et nette.

1580

Source: Essais

J'ai ouï réciter plusieurs exemples de gens devenus malades, ayant entrepris de s'en feindre.

1580

Source: Essais

Il est possible que l'action de la vue se soit hébétée pour avoir été si longtemps sans exercice [...].

1580

Source: Essais

Si j’ai envie de rire d’un fol, il ne me le faut chercher guère loin, je me ris de moi-même.

1580

Source: Essais

[Une personne] a subitement perdu la vue. [...] elle ne sent point qu’elle soit aveugle, et [...] dit que la maison est obscure.

1580

Source: Essais

Ce que nous rions en elle, je te prie croire qu’il advient à chacun de nous : nul ne connaît être avare, nul convoiteux.

1580

Source: Essais

Encore les aveugles demandent un guide, nous nous fourvoyons de nous-mêmes.

1580

Source: Essais

Je ne suis pas ambitieux, disons-nous, mais à Rome on ne peut vivre autrement.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas ma faute si je suis colère, si je n’ai encore établi aucun train assuré de vie, c’est la faute de la jeunesse.

1580

Source: Essais

Ne cherchons pas hors de nous notre mal, il est chez nous, il est planté en nos entrailles.

1580

Source: Essais

Et cela même que nous ne sentons pas être malades, nous rend la guérison plus mal-aisée.

1580

Source: Essais

Si nous ne commençons de bonne heure à nous penser, quand aurons-nous pourvu à tant de plaies et à tant de maux ?

1580

Source: Essais

Nous avons une très-douce médecine, la philosophie : car des autres, on n’en sent le plaisir qu’après la guérison, celle-ci plaît et guérit ensemble.

1580

Source: Essais

La force de l’imagination peut bien aider à cela [...].

1580

Source: Essais

Quand les medecins ne peuvent purger le catarre, ils le divertissent et le desvoyent à une autre partie moins dangereuse. Je m’apperçoy que c’est aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l’ame.

1580

Source: Essais

Il apartient à un seul Socrates d’accointer la mort d’un visage ordinaire, s’en aprivoiser et s’en jouer.

1580

Source: Essais

Ils fuyent la luicte ; ils destournent de la mort leur consideration, comme on amuse les enfans pendant qu’on leur veut donner le coup de lancette.

1580

Source: Essais

Nous pensons tousjours ailleurs ; l’esperance d’une meilleure vie nous arreste et appuye, ou l’esperance de la valeur de nos enfans, ou la gloire future de nostre nom [...].

1580

Source: Essais

Si vostre affection en l’amour est trop puissante, dissipez la [...] rompez la à divers desirs [...] affoiblissez le [...] en le divisant et divertissant.

1580

Source: Essais

Tousjours la variation soulage, dissout et dissipe. Si je ne puis la combatre, je luy eschape, et en la fuyant je fourvoye, je ruse.

1580

Source: Essais

Peu de chose nous divertit et destourne, car peu de chose nous tient.

1580

Source: Essais

Je voyois nonchalamment la mort, quand je la voyois universellement, comme fin de la vie ; je la gourmande en bloc ; par le menu, elle me pille.

1580

Source: Essais

Il faut voir son vice et l’estudier pour le redire. Ceux qui le celent à autruy, le celent ordinairement à eux mesmes.

1580

Source: Essais

Les maux de l’ame s’obscurcissent en leur force ; le plus malade les sent le moins.

1580

Source: Essais

La sagesse a ses excés, et n’a pas moins besoin de moderation que la folie.

1580

Source: Essais

Que l’enfance regarde devant elle, la vieillesse derriere : estoit-ce pas ce que signifioit le double visage de Janus ?

1580

Source: Essais

Il n’est plus temps de regimber quand on s’est laissé entraver. Il faut prudemment mesnager sa liberté ; mais dépuis qu’on s’est submis à l’obligation, il s’y faut tenir soubs les loix du debvoir commun [...].

1580

Source: Essais

Nous faisons et poisons les vices non selon nature, mais selon nostre interest, par où ils prennent tant de formes inegales.

1580

Source: Essais

La parole des gens de guerre [...] est sujette à caution.

1580

Source: Essais

[...] on ne saurait trop se méfier tant que la signature définitive n’est pas donnée, sans compter qu’à ce moment même, tout n’est pas encore fini.

1580

Source: Essais

Il a été de tous temps bien hasardeux [...] de permettre l’entrée aux soldats, aussitôt la reddition obtenue.

1580

Source: Essais

[...] l’amour du butin, l’esprit de vengeance l’emportant sur le respect de [...] l’autorité et l’observation de la discipline militaire.

1580

Source: Essais

[Le] droit de la guerre [...] est au-dessus des lois de la justice divine, comme de celles de la justice humaine [...].

1580

Source: Essais

C’est souvent pendant les conférences en vue de la capitulation d’une place, que l’ennemi s’en rend maître.

1580

Source: Essais

On ne peut blâmer que, dans certaines circonstances, nous profitions des fautes de l’ennemi, tout comme [...] nous profitons de sa lâcheté.

1580

Source: Essais

La guerre admet en effet comme licites, beaucoup de pratiques condamnables en dehors d’elle.

1580

Source: Essais

Le principe que « personne ne doit chercher à faire son profit de la sottise d’autrui » [...] est ici en défaut.

1580

Source: Essais

Ceux qui [...] prennent part à une course, doivent bien employer toutes leurs forces à gagner [...]; mais il ne leur est pourtant pas permis de porter la main sur eux pour les arrêter [...].

1580

Source: Essais

Il n’est pas de ma dignité de chercher à vaincre à la dérobée.

1580

Source: Essais

J’aime mieux avoir à me plaindre de la fortune, qu’à rougir de ma victoire.

1580

Source: Essais

[Il] veut vaincre, non par surprise, mais par la seule force des armes.

1580

Source: Essais

A mesure que les pensemens vtiles sont plus pleins, et solides, ils sont aussi plus empeschans, et plus onéreux.

1580

Source: Essais

La sagesse a ses excez, et n’a pas moins besoing de moderation que la folie.

1580

Source: Essais

Que l’enfance regarde deuant elle, la vieillesse derriere.

1580

Source: Essais

l’ayme mieux estre moins long temps vieil, que d’estre vieil, auant que de l’estre.

1580

Source: Essais

Iusques aux moindres occasions de plaisir que ie puis rencontrer, ie les empoigne.

1580

Source: Essais

Ma philosophie est en action, en vsage naturel et present peu en fantasie.

1580

Source: Essais

Puisque c'est le priuilege de l'esprit, de se r'auoir de la vieillesse, [...] qu'il verdisse, qu'il fleurisse ce pendant, s'il peut, comme le guy sur vn arbre mort.

1580

Source: Essais

Ie me suis ordonné d’oser dire tout ce que i’ose faire : et me desplaist des pensees mesmes impubliables.

1580

Source: Essais

Qui s’obligeroit à tout dire, s’obligeroit à ne rien faire de ce qu’on est contraint de taire.

1580

Source: Essais

Les maux de l’ame s’obscurcissent en leurs forces : le plus malade les sent le moins.

1580

Source: Essais

Vn bon mariage, s’il en est, refuse la compagnie et conditions de l’amour : il tasche à representer celles de l’amitié.

1580

Source: Essais

Il en aduient ce qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont dehors, desesperent d’y entrer ; et d’vn pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans.

1580

Source: Essais

Les femmes n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les regles de vie, qui sont introduites au monde dautant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles.

1580

Source: Essais

Il me plaist d'estre moins loué, pourueu que ie soy mieux congneu.

1580

Source: Essais

C’est folie de vouloir s’esclaircir d’vn mal, auquel il n’y a point de medecine, qui ne l’empire et le rengrege.

1580

Source: Essais

Nous ne pouvons nous asseurer de la maistresse cause ; nous en entassons plusieurs, voir si par rencontre elle se trouvera en ce nombre.

1580

Source: Essais

Il n’est rien qui nous jette tant aux dangers qu’une faim inconsiderée de nous en mettre hors.

1580

Source: Essais

Considerer et juger le danger est aucunement le rebours de s’en estonner.

1580

Source: Essais

C’est une espece de pusillanimité aux monarques [...] de travailler à se faire valloir et paroistre par despences excessives.

1580

Source: Essais

Un Roy n’a rien proprement sien ; il se doibt soy-mesmes à autruy.

1580

Source: Essais

Si la liberalité d’un prince est sans discretion et sans mesure, je l’aime mieux avare.

1580

Source: Essais

Qui a sa pensée à prendre, ne l’a plus à ce qu’il a prins. La convoitise n’a rien si propre que d’estre ingrate.

1580

Source: Essais

Plus un Prince s’espuise en donnant, plus il s’apouvrit d’amys.

1580

Source: Essais

Nous n’allons point, nous rodons plustost, et tournoions çà et là. Nous nous promenons sur nos pas.

1580

Source: Essais

Je crains que nostre cognoissance soit foible en tous sens, nous ne voyons ny gueres loin, ny guere arriere.

1580

Source: Essais

Quand tout ce qui est venu par rapport du passé jusques à nous seroit vray [...], ce seroit moins que rien au pris de ce qui est ignoré.

1580

Source: Essais

Il n’y a rien de seul et de rare eu esgard à nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoissance, qui est un miserable fondement de nos regles.

1580

Source: Essais

Nous nous sommes servis de leur ignorance et inexperience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et patron de nos meurs.

1580

Source: Essais

Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, [...] la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la negotiation des perles et du poivre : mechaniques victoires.

1580

Source: Essais

Le Roy, plantant fierement et rigoureusement les yeux sur luy, [...] luy dict seulement ces mots, d’une voix rude et ferme : Et moy, suis-je dans un bain ?

1580

Source: Essais

Il me semble que la vertu est chose autre, et plus noble, que les inclinations à la bonté, qui naissent en nous.

1580

Source: Essais

Il semble que le nom de la vertu presuppose de la difficulté et du contraste, et qu’elle ne peut s’exercer sans partie.

1580

Source: Essais

La vertu refuse la facilité pour compagne [...]. Elle demande un chemin aspre et espineux.

1580

Source: Essais

Si la vertu ne peut luire que par le combat des appetits contraires, dirons nous donq qu’elle ne se puisse passer de l’assistance du vice ?

1580

Source: Essais

Toute mort doit estre de mesmes sa vie. Nous ne devenons pas autres pour mourir. J’interprete tousjours la mort par la vie.

1580

Source: Essais

[La bonté naturelle] semble bien rendre un homme innocent, mais non pas vertueux : exempt de mal faire, mais non assez apte à bien faire.

1580

Source: Essais

Quand on juge d’une action particuliere, il faut considerer plusieurs circonstances, et l’homme tout entier qui l’a produicte, avant la baptizer.

1580

Source: Essais

Ma vertu, c’est une vertu, ou innocence, pour mieux dire, accidentale et fortuite.

1580

Source: Essais

Je trouve [...] plus d’arrest et de regle en mes mœurs qu’en mon opinion : et ma concupiscence moins desbauchée que ma raison.

1580

Source: Essais

Je hay entre autres vices, cruellement la cruauté, et par nature et par jugement, comme l’extreme de tous les vices.

1580

Source: Essais

Les morts je ne les plains guere, et les envierois plustost ; mais je plains bien fort les mourans.

1580

Source: Essais

En la justice mesme, tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté.

1580

Source: Essais

Je n’ay pas sçeu voir seulement sans desplaisir, poursuivre et tuer une beste innocente, qui est sans deffence, et de qui nous ne recevons aucune offence.

1580

Source: Essais

Nul ne prent son esbat à voir des bestes s’entrejouer et caresser ; et nul ne faut de le prendre à les voir s’entredeschirer et desmembrer.

1580

Source: Essais

Nous devons la justice aux hommes, et la grace et la benignité aux autres creatures [...]. Il y a quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle.

1580

Source: Essais

On dit que philosopher, c’est douter ; à plus forte raison est-ce être dans le doute que d’émettre, comme je le fais, des idées niaises et fantasques.

1580

Source: Essais

Il y a des accidents pires que la mort ; qui ne la craint pas, brave toutes les tyrannies et toutes les injustices.

1580

Source: Essais

Que peuvent avoir à souffrir ceux qui ne craignent pas la mort ?

1580

Source: Essais

[...] le don le plus favorable que nous ait fait la nature et qui nous ôte tout droit de nous plaindre de notre sort, c’est de nous avoir laissé la clef des champs.

1580

Source: Essais

Notre vie dépend de la volonté d’autrui, la mort ne dépend que de la nôtre.

1580

Source: Essais

Vivre, c’est être esclave, si la liberté de mourir n’est pas admise.

1580

Source: Essais

C’est être faible que de céder au mal, mais c’est folie que de l’entretenir.

1580

Source: Essais

Il y a bien plus de courage à attendre que tombent d’eux-mêmes [...] les fers qui nous enchaînent qu’à les rompre.

1580

Source: Essais

C’est le rôle de la peur et non celui de la vertu, d’aller se tapir dans une fosse [...] pour se soustraire aux coups de la fortune.

1580

Source: Essais

Le plus ordinairement, c’est pour fuir d’autres inconvénients que nous en arrivons à celui-ci ; quelquefois même, c’est pour échapper à la mort que nous y courons.

1580

Source: Essais

Dédaigner la vie est un sentiment ridicule, car enfin la vie, c’est notre être, notre tout.

1580

Source: Essais

C’est [...] de la vanité que de souhaiter être autre que nous sommes ; un tel désir ne mène à rien, il se contredit lui-même.

1580

Source: Essais

L’homme, dit un aphorisme de l’antiquité, est en droit de tout espérer, tant qu’il vit.

1580

Source: Essais

Une douleur insupportable, une mort misérable en perspective me semblent les mobiles les plus excusables qui peuvent nous porter à nous détruire.

1580

Source: Essais

Personne n’est exempt de dire des fadaises. Le malheur est de les dire curieusement.

1580

Source: Essais

Je parle au papier comme je parle au premier que je rencontre.

1580

Source: Essais

Nostre bastiment, et public et privé, est plain d’imperfection. Mais il n’y a rien d’inutile en nature ; non pas l’inutilité mesmes.

1580

Source: Essais

Au milieu de la compassion, nous sentons au dedans je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne à voir souffrir autruy.

1580

Source: Essais

Qui osteroit les semences [des vices] en l’homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie.

1580

Source: Essais

Le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre ; resignons cette commission à gens plus obeissans et plus soupples.

1580

Source: Essais

La naifveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise.

1580

Source: Essais

Je ne pretens autre fruict en agissant, que d’agir [...] chasque action fait particulierement son jeu.

1580

Source: Essais

La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice, et sont passions servans seulement à ceux qui ne tiennent pas assez à leur devoir par la raison simple.

1580

Source: Essais

Je suivray le bon party jusques au feu, mais exclusivement si je puis.

1580

Source: Essais

Ce que la crainte m’a faict une fois vouloir, je suis tenu de le vouloir encore sans crainte.

1580

Source: Essais

On argumente mal l’honnesteté et la beauté d’une action par son utilité.

1580

Source: Essais

Toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien pour le service de son Roy ny de la cause generalle et des loix.

1580

Source: Essais

Nous ne pouvons pas tout. [...] nous faut il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduitte du ciel.

1580

Source: Essais

Chez certains rois barbares, les engagements les plus sacrés se contractaient en joignant très étroitement les mains droites l’une contre l’autre, les pouces entrelacés [...].

1580

Source: Essais

Les médecins disent que les pouces sont les doigts essentiels de la main, et que le mot d’où dérive leur étymologie latine signifie « être fort, puissant ».

1580

Source: Essais

En grec, le sens du mot qui les désigne est comme qui dirait « une autre main ».

1580

Source: Essais

À Rome, la main fermée et renversée, le pouce détaché et en dessous, témoignait la satisfaction.

1580

Source: Essais

La main fermée, le pouce détaché et en dessus, était une marque de défaveur.

1580

Source: Essais

Quand la foule tourne le pouce en haut, il faut, pour lui plaire, que les gladiateurs s’égorgent.

1580

Source: Essais

Les Romains exemptaient de la guerre ceux qui étaient blessés au pouce, comme n’ayant plus assez de force pour se servir de leurs armes.

1580

Source: Essais

Auguste confisqua les biens d’un chevalier romain qui avait tranché le pouce à deux de ses enfants [...] dans le but criminel de les dispenser de se rendre aux armées.

1580

Source: Essais

Le Sénat [...] avait condamné Caius Vatienus à la prison perpétuelle et à la confiscation de tous ses biens, pour s’être volontairement coupé le pouce [...] afin de s’épargner d'y prendre part.

1580

Source: Essais

[Un général], ayant remporté une victoire navale, fit trancher les pouces à tous ses prisonniers, pour leur ôter tout moyen de combattre et de manier la rame.

1580

Source: Essais

Les Athéniens agirent de même à l’égard des habitants d’Egine, pour leur ôter la supériorité dans l’emploi de leur marine.

1580

Source: Essais

À Lacédémone, les maîtres d’école punissaient les enfants en leur mordant les pouces.

1580

Source: Essais

C’est une preuve [...] de la faiblesse de notre jugement que de s’éprendre des choses parce qu’elles sont rares et nouvelles, [...] alors même qu’elles ne sont ni bonnes, ni utiles.

1580

Source: Essais

Démocrite disait que les dieux et les bêtes avaient les sentiments plus délicats que les hommes qui sont entre les deux.

1580

Source: Essais

La peur poussée à l’extrême, comme le courage élevé à son paroxysme, produisent parfois sur nous les mêmes effets physiques.

1580

Source: Essais

Si ma chair savait jusqu’où [...] mon courage va la mener, elle en serait absolument transie.

1580

Source: Essais

Un froid intense comme un chaud excessif cuisent et rôtissent.

1580

Source: Essais

Le désir et la satiété nous endolorissent également avant et après le plaisir.

1580

Source: Essais

Sous l’effet de la souffrance, la bêtise et la sagesse en arrivent aux mêmes fins. Les sages dominent le mal, [...] les autres l’ignorent.

1580

Source: Essais

La plupart des hommes [...] prennent place entre ces deux extrêmes ; ils aperçoivent le mal, le ressentent et ne peuvent le supporter.

1580

Source: Essais

Il y a une ignorance initiale qui précède la science et une ignorance doctorale qui la suit ; la science [...] engendre cette dernière, tout comme elle [...] détruit la première.

1580

Source: Essais

Chez des gens d’esprit moyens, naissent les opinions erronées ; ils adoptent, sur la simple apparence, la première interprétation venue.

1580

Source: Essais

Les esprits simples sont d’honnêtes gens ; les philosophes aussi. Ceux qui sont entre deux selles [...], qui ont l’ignorance en dédain mais n’ont pu atteindre le degré supérieur, [...] ce sont eux qui troublent le monde.

1580

Source: Essais

La poésie populaire a des naïvetés et une grâce qui rivalisent avec ce qu'elle offre de plus beau quand [...] elle atteint la perfection par l'art.

1580

Source: Essais

Entre la poésie populaire et la poésie parfaite, nous avons la poésie médiocre, qui est dédaignée, peu honorée et sans valeur.

1580

Source: Essais

Il peut arriver que [mes Essais] ne plaisent guère aux esprits communs [...] ni aux intelligences supérieures [...] ; les premiers ne les comprenant pas assez, ceux-ci les comprenant trop.

1580

Source: Essais

Il y a dans le vice autant de diversité qu’en toute autre chose.

1580

Source: Essais

Chacun est porté à aggraver le péché de son prochain et à atténuer le sien.

1580

Source: Essais

Socrate disait que le principal rôle de la sagesse est d’enseigner ce qui est bien et ce qui est mal, et d’en faire saisir la différence.

1580

Source: Essais

Les autres vices altèrent notre bon sens ; celui-ci [l'ivrognerie] l’anéantit et occasionne au corps un trouble général.

1580

Source: Essais

Le pire de tous les états pour l’homme, est celui où il n’a plus connaissance de lui-même et ne se gouverne plus.

1580

Source: Essais

Par goût et par tempérament, je déteste ce vice [l'ivrognerie], [...] je le trouve honteux et stupide, et cependant moins mauvais et moins préjudiciable que les autres qui [...] font directement plus de tort à la société.

1580

Source: Essais

[...] peut-être sommes-nous beaucoup plus enclins que nos pères au libertinage, et le vin et les femmes sont deux choses qui, portées à l’excès, se nuisent l’une à l’autre.

1580

Source: Essais

Il était, à un degré inouï, esclave de sa parole, et d’une conscience telle en fait de religion, qu’il inclinait plutôt du côté de la superstition que du côté opposé.

1580

Source: Essais

Je ne parviens cependant pas à comprendre comment on trouve encore de la satisfaction à boire quand on n’a plus soif et à se créer, par l’imagination, un appétit artificiel qui est contre nature.

1580

Source: Essais

Platon défend aux enfants de boire du vin avant dix-huit ans et de s’enivrer avant quarante.

1580

Source: Essais

Si sage qu’on le suppose, le sage n’est en définitive qu’un homme ; et qu’y a-t-il de plus caduc, de plus misérable, qui tienne plus du néant que l’homme ?

1580

Source: Essais

La sagesse ne l’emporte pas sur les conditions que la nature nous a imposées.

1580

Source: Essais

Que le sage se contente donc de contenir et de modérer ses penchants, les anéantir n’est pas en son pouvoir.

1580

Source: Essais

Toutes les actions humaines qui sortent de l’ordinaire prêtent à être prises en mauvaise part, d’autant que nous n’admettons pas davantage ce qui est au-dessus de ce que nous approuvons, que ce qui est au-dessous.

1580

Source: Essais

Prévoïant l’orage des froidures, [un Jardinier] avoit transporté en une petite logette couverte, force artichauts [...] esperant les conserver bons & frais deux ou trois mois.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Ils menaient [des autruches] à pied, & disent que leurs bêtes se lassaient moins qu'eux.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[En cette ville], on reçoit à toutes heures de la nuit quiconque y veut entrer, soit à pied, soit à cheval, pourvu qu’il dise son nom.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le portier, de son lit en chemise, par certain engin qu’il retire & avance, ouvre la porte à plus de cent bons pas de sa chambre.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

L’étranger se trouve en une salle, & ne voit en tout son chemin nul à qui parler.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[L'étranger] treuve un vesseau d’airain [...] il met là l’argent qu’il doit pour son passage. [...] s’[il] n’est contant, [le portier] le laisse là tranper jusques au lendemein.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

C’est une des plus artificielles choses qui se puisse voir ; la Reine d’Angleterre a envoïé un Ambassadeur exprès pour prier la Seigneurie de descouvrir l’usage de ces engins : ils disent qu’ils l’en refusarent.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Sous ce portal, il y a une grande cave à loger cinq cens chevaus à couvert pour recevoir secours, ou envoïer à la guerre sans le sceu du commun de la ville.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Ils ont un blanchisseur gagé à repasser tout soudain ce qu’on a noirci en leurs parois.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Il se passe peu de repas où on ne vous présente des dragées & boîtes de confitures ; le pain le plus excellant qu’il est possible.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

M. de Montaigne se pleignoit fort de partir, estant à une journée du Danube, sans le voir.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

M. de Montaigne fuïoit fort de repasser par le même chemin.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

On peut faire état pour la dépense à quatre livres par jour homme & cheval, & quarante sous pour un homme de pied, pour le moins.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

On hache partout en ce pays là des raves & naveaux avec même soin & presse, comme on bat les blés.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Ils étaient allés à la chasse, & dames & tout, le jour que nous y fûmes.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Cette parfaicte amitié [...] est indivisible : chacun se donne si entier à son amy, qu’il ne luy reste rien à departir ailleurs.

1580

Source: Essais

L’unique et principale amitié descoust toutes autres obligations.

1580

Source: Essais

Depuis le jour que je le perdy, [...] je ne fay que trainer languissant ; et [...] il me semble n’estre plus qu’à demy.

1580

Source: Essais

Nous pouvons saisir la vertu de façon qu’elle en deviendra vicyeuse, si nous l’embrassons d’un désir trop aspre et violant.

1580

Source: Essais

L’archer qui outrepasse le blanc, faut comme celuy qui n’y arrive pas.

1580

Source: Essais

Est-ce pas un miserable animal que l’homme ? A peine est-il en son pouvoir [...] de gouter un seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher par discours.

1580

Source: Essais

Je souhaiterois [...] parler à des gens qui eussent essayé ce que je dis. Mais, sçachant combien [...] une telle amitié [...] est rare, je ne m’attens pas d’en trouver aucun bon juge.

1580

Source: Essais

Nous n’avons autre mire de la verité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du païs où nous sommes.

1580

Source: Essais

Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à deschirer par tourmens [...] un corps encore plein de sentiment [...] que de le rostir et manger apres qu’il est trespassé.

1580

Source: Essais

Nous les pouvons donq bien appeller barbares, eu esgard aux regles de la raison, mais non pas eu esgard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.

1580

Source: Essais

Il se faut garder de s’atacher aux opinions vulgaires, et les faut juger par la voye de la raison, non par la voix commune.

1580

Source: Essais

J’ay peur que nous avons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent.

1580

Source: Essais

L’estimation et le pris d’un homme consiste au cœur et en la volonté ; c’est là où gist son vray honneur : la vaillance c’est la fermeté, [...] du courage et de l’ame.

1580

Source: Essais

Je n’ay point cette erreur commune de juger d’un autre selon que je suis. [...] je reçoy plus facilement la difference que la ressemblance en nous.

1580

Source: Essais

Si la douleur est violente, elle est courte ; si elle est longue, elle est legiere.

1580

Source: Essais

Ce qui nous fait souffrir avec tant d’impatience la douleur, c’est de n’estre pas accoustumez de prendre nostre principal contentement en l’ame, [...] seule et souveraine maistresse de nostre condition.

1580

Source: Essais

Il est aisé à voir que ce qui aiguise en nous la douleur et la volupté, c’est la pointe de nostre esprit.

1580

Source: Essais

Tout ainsi que l’ennemy se rend plus aigre à nostre fuite, aussi s’enorgueillit la douleur à nous voir trembler soubs elle. Elle se rendra de bien meilleure composition à qui luy fera teste.

1580

Source: Essais

L’opinion est une puissante partie, hardie, et sans mesure.

1580

Source: Essais

De vray, ce n’est pas la disette, c’est plustost l’abondance qui produict l’avarice.

1580

Source: Essais

Chascun est bien ou mal selon qu’il s’en trouve. Non de qui on le croid, mais qui le croid de soy, est content.

1580

Source: Essais

La fortune ne nous fait ny bien ny mal ; elle nous en offre seulement la matiere et la semence, laquelle nostre ame, plus puissante qu’elle, tourne et applique comme il luy plait.

1580

Source: Essais

Pour juger des choses grandes et haultes, il faut une ame de mesme, autrement nous leur attribuons le vice qui est le nostre.

1580

Source: Essais

Il advient le plus souvent [...] que chacun choisit plustost à discourir du mestier d’un autre que du sien, estimant que c’est autant de nouvelle reputation acquise.

1580

Source: Essais

Philosopher ce n’est autre chose que s’aprester à la mort.

1580

Source: Essais

La premeditation de la mort est premeditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à servir.

1580

Source: Essais

Le continuel ouvrage de vostre vie c’est bastir la mort. Vous estes en la mort pendant que vous estes en vie.

1580

Source: Essais

L’utilité du vivre n’est pas en l’espace, elle est en l’usage : tel a vescu long temps, qui a peu vescu.

1580

Source: Essais

Craindre les périls communs [...], ne pas oser ce que tant d’âmes de toutes natures et le peuple entier osent, c’est le propre d’un cœur lâche et bas au delà de toute mesure.

1580

Source: Essais

La mort est plus abjecte, plus languissante, plus pénible dans un lit que dans un combat.

1580

Source: Essais

Celui qui est fait à supporter vaillamment les accidents de la vie ordinaire, n’a point à grandir son courage pour se faire soldat.

1580

Source: Essais

Si mon corps se comportait aussi à mon gré que mon âme, nous marcherions un peu plus à notre aise.

1580

Source: Essais

Je ne regrette pas davantage de ne pas devoir durer autant et sans plus de décrépitude qu’un chêne.

1580

Source: Essais

C’est un grand pas fait vers la liberté, que de savoir régler son estomac.

1580

Source: Essais

[Mon père] voulait que je fusse porté à regarder plutôt du côté de ceux qui me tendent les bras, que de ceux qui me tournent le dos.

1580

Source: Essais

La manière de vivre la plus usitée et communément suivie, est celle qui est préférable ; toute singularité me semble à éviter.

1580

Source: Essais

Eh quoi ! n’avez-vous pas vécu ? C’est là non seulement votre occupation essentielle, mais celle qui fait de vous quelqu’un.

1580

Source: Essais

Le plus grand, le plus glorieux chef-d’œuvre de l’homme, c’est de vivre à propos.

1580

Source: Essais

Il n’est pas de science si ardue que de bien savoir vivre naturellement cette vie ; et de nos maladies la plus sauvage, c’est de mépriser l’existence.

1580

Source: Essais

L’intempérance est la peste de la volupté ; la tempérance n’en est pas le fléau, elle en est l’assaisonnement.

1580

Source: Essais

Les gens que hante cette idée de sacrifier le corps à l’âme, [...] de cesser de n’être que des hommes, sont fous ; ce n’est pas en anges qu’ils se transforment, c’est en bêtes.

1580

Source: Essais

Savoir loyalement jouir de ce que l’on est, est la perfection absolue et pour ainsi dire divine.

1580

Source: Essais

Les plus belles existences sont, à mon sens, celles qui rentrent dans le modèle général de la vie humaine, [...] d’où surtout sont exclus le miracle et l’extravagance.

1580

Source: Essais

Les états politiques sont sujets aux mêmes vicissitudes et accidents que le corps humain.

1580

Source: Essais

Tout comme les individus, les royaumes, les républiques naissent, fleurissent et déclinent, quand la vieillesse les atteint.

1580

Source: Essais

Rien n’étant stable en nous, une santé trop florissante [...] est, à contenir et à affaiblir avec art, de peur [...] qu’il n’en résulte un mouvement en arrière trop subit qui occasionne des désordres.

1580

Source: Essais

Il faut convenir qu’une guerre étrangère est un mal moindre qu’une guerre civile ; mais je ne crois pas que Dieu soit favorable à une entreprise aussi inique que serait de chercher querelle à autrui [...] pour notre propre commodité.

1580

Source: Essais

La faiblesse de notre condition nous réduit à recourir, dans un bon but, à de mauvais moyens.

1580

Source: Essais

S’il est indispensable de transgresser les lois de l’humanité, il est plus excusable de le faire dans l’intérêt de la santé de l’âme que de celle du corps.

1580

Source: Essais

Il ne fallait pas seulement qu’ils combattissent et que le combat se terminât fatalement par leur mort, il fallait encore qu’ils le fissent avec courage.

1580

Source: Essais

[Les gladiateurs] tendaient la gorge à son épée et s’offraient à ses coups.

1580

Source: Essais

[Les gladiateurs ne laissaient] jamais échapper un mot témoignant de la faiblesse ou implorant de la pitié, tourner le dos, ou faire seulement un mouvement pouvant les faire soupçonner de lâcheté.

1580

Source: Essais

[Le concept...] me paraitrait bien étrange et incroyable, si nous n’étions accoutumés à voir, tous les jours, dans nos guerres, tant de myriades d’étrangers engageant, pour de l’argent, leur sang et leur vie au service de querelles dans lesquelles ils n’ont aucun intérêt.

1580

Source: Essais

La naissance ordinaire des choses, elle est imparfaicte elles s’augmentent, se fortifient par l’accroissance.

1580

Source: Essais

N’ayant eu nul qu’il peust imiter auant luy, il n’a eu nul apres luy qui le peust imiter.

1580

Source: Essais

C'est le seul autheur du monde, qui n’a iamais soulé ne dégousté les hommes, se montrant aux lecteurs tousiours tout autre, et fleurissant tousiours en nouuelle grace.

1580

Source: Essais

Il n’est rien qui viue en la bouche des hommes, comme son nom et ses ouurages [...], qui ne furent à l’aduenture iamais.

1580

Source: Essais

Il est impossible de conduire si grands mouuemens, auec les regles de la iustice. Telles gens veulent estre iugez en gros, par la maistresse fin de leurs actions.

1580

Source: Essais

[Un grand homme] auoit de la Nature ses vertus, de la Fortune ses vices.

1580

Source: Essais

[Les mœurs et la conscience], qui seule marque veritablement, quels nous sommes et laquelle ie contrepoise seule à toutes les autres ensemble.

1580

Source: Essais

En cestuy-cy seul, c’est vne vertu et suffisance pleine par tout, et pareille qui en touts les offices de la vie humaine ne laisse rien à desirer de soy.

1580

Source: Essais

Je ne cognoy nulle ny forme ny fortune d’homme, que ie regarde auec tant d’honneur et d’amour.

1580

Source: Essais

Pour vn homme non saint, mais que nous disons, galant homme, de mœurs ciuiles et communes d’vne hauteur moderée : la plus riche vie, que ie sçache, à estre vescue entre les viuants [...].

1580

Source: Essais

Le plus doux contentement qu’il eut en toute sa vie, [...] c’estoit le plaisir qu’il auoit donné à son pere, et à sa mere [...], preferant leur plaisir, au sien.

1580

Source: Essais

Il ne pensoit pas qu’il fust loisible pour recouurer mesmes la liberté de son pays, de tuer vn homme sans cognoissance de cause.

1580

Source: Essais

En vne bataille il falloit fuyr la rencontre d’vn amy, qui fust au party contraire, et l’espargner.

1580

Source: Essais

La victoire le suyuant comme son ombre par tout où il guidast, la prospérité de son pays mourut aussi luy mort, comme elle estoit née par luy.

1580

Source: Essais

Ayant à choisir, pour perpétuer sa mémoire, entre un enfant contrefait et mal portant ou un livre sot et inepte, [on se résignerait] au premier de ces malheurs plutôt qu’au second.

1580

Source: Essais

Si on eût proposé à saint Augustin d’anéantir ses écrits [...] ou de perdre ses enfants [...], n’eût-ce pas été une impiété de sa part de ne pas sacrifier ces derniers ?

1580

Source: Essais

Je ne sais vraiment pas si je n’aimerais pas beaucoup mieux avoir mis au monde [une œuvre parfaite], issue de mon commerce avec les Muses, plutôt que [d'un enfant] de mes relations avec ma femme.

1580

Source: Essais

[Mon œuvre] peut savoir des choses que je ne sais plus, en tenir de moi dont moi-même n’ai plus souvenir.

1580

Source: Essais

Et si besoin était que je fasse un emprunt [à mon œuvre], il me faudrait le contracter comme le ferait un étranger.

1580

Source: Essais

Si je suis plus sage que [mon livre], il est plus riche que moi.

1580

Source: Essais

Il est peu d’hommes cultivant la poésie, qui ne se trouveraient mieux lotis d’être le père de l’Enéide que du plus beau garçon de Rome [...].

1580

Source: Essais

[Les poètes] ne souffriraient davantage de la perte de [leur œuvre] que de [leurs enfants].

1580

Source: Essais

De tous ceux qui produisent, le poète est, en particulier, le plus porté à s’éprendre de ses œuvres.

1580

Source: Essais

Epaminondas se vantait de laisser pour toute postérité des filles qui feraient un jour honneur à leur père (c’étaient les deux brillantes victoires qu’il avait remportées [...]).

1580

Source: Essais

Alexandre et César [n'ont] jamais souhaité sacrifier la célébrité qu’ils doivent à leurs glorieuses conquêtes, à l’avantage d’avoir des enfants qui eussent été leurs héritiers [...].

1580

Source: Essais

Je doute [...] que [tout] sculpteur passé maître [...] eût préféré la conservation [...] des enfants que la nature lui avait donnés, à celles de ses œuvres [...] amenées à la perfection.

1580

Source: Essais

Ces passions contre nature [...] se rencontrent parfois au même degré dans cette parenté d’un autre genre [avec nos créations].

1580

Source: Essais

Il touche l’ivoire, et l’ivoire oubliant sa dureté naturelle cède et s’amollit sous ses doigts.

1580

Source: Essais

Souvent, bien loin au-dessus de nos têtes, nous voyons un beau village ; et sous nos pieds, comme aux Antipodes, un autre [...]. Il ne me semble pas qu'aucune peinture puisse représenter un si riche paysage.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Parce que j'avais donné un soufflet à notre voiturier, ce qui est un grand excès selon l'usage du pays, témoin le voiturier qui tua le Prince de Trésignano.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

J'y remarquai un Palais de pierre de taille, tout taillé par le dehors en pointe de diamant carrée ; [...] cette forme de construction est plaisante à la vue.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Nous sentions bien que nous étions sur le chemin de Lorette, tant les chemins étaient pleins d'allants et venants ; et plusieurs [...] compagnies de personnes riches faisant le voyage à pied, vêtus en pèlerins.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Il y a là plus d'apparence de religion qu'en nul autre lieu que j'aie vu.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Ce qui s'y perd, [...] digne, non d'être relevé seulement, mais dérobé, [...] celui qui le trouve, le met en certain lieu public et destiné à cela ; et le reprend là, quiconque le veut reprendre, sans connaissance de cause.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

En dormant, tout à coup, il songe qu'il est guéri [...] ; il s'éveille, crie qu'il est guéri, appelle ses gens, se lève, se promène, ce qu'il n'avait jamais fait depuis son mal.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Cette ville est fameuse par-dessus toutes celles d'Italie : de belles femmes, nous n'en vîmes aucune, que de très laides ; et à moi qui m'en enquis, [...] il me dit que le siècle en était passé.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Quasiment dans toute l'Italie, on tamise la farine avec des roues, où un boulanger fait plus de besogne en une heure que nous en quatre.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Ils disent qu'il y a autant de chambres que de jours dans l'an [...]. Vous voyez au travers d'une porte, souvent vingt autres portes qui se suivent d'un sens, et autant par l'autre, ou plus.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je vis là, l'effigie au naturel de Pic de la Mirandole. Un visage [...] très beau, sans barbe, [...] le nez longuet, les yeux doux, [...] les cheveux blonds, qui lui battent jusques sur les épaules, et un étrange accoutrement.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

La vaine chose que c'est que la médecine.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le peuple mange du pain de bois : c'est ainsi qu'ils appellent par proverbe le pain de châtaignes, qui est leur principale récolte.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le peuple entre soi est tout divisé en la partie Française, et Espagnole [...]. Les femmes et les hommes de notre parte portent les bouquets de fleurs sur l'oreille droite [...] ; les Espagnols de l'autre côté.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Les nations libres n'ont pas la distinction des degrés des personnes comme les autres ; et jusqu'aux plus infimes ont je ne sais quoi de seigneurial en leurs manières.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

La touche d’un bon mariage, et sa vraye preuve, regarde le temps que la societé dure : si elle a esté constamment douce, loyalle et commode.

1580

Source: Essais

Elles preuvent plustost par là qu’elles ne les aiment que morts.

1580

Source: Essais

Leur rechigner est odieux aux vivans et vain aux morts. Nous dispenserons volontiers qu’on rie apres, pourveu qu’on nous rie pendant la vie.

1580

Source: Essais

Est ce pas de quoy resusciter de despit, qui m’aura craché au nez pendant que j’estoy, me vienne froter les pieds quand je commence à n’estre plus.

1580

Source: Essais

Cette ceremonieuse contenance ne regarde pas tant derriere soy que devant ; c’est acquest plus que payement.

1580

Source: Essais

Ne pense point, mon amy, que les douleurs que je te voy souffrir, ne me touchent autant qu’à toy [...]. Je te veux accompaigner à la guerison comme j’ay fait à la maladie.

1580

Source: Essais

Vous avez beau faire, vous me pouvez bien faire plus mal mourir, mais de me garder de mourir, vous ne sçauriez.

1580

Source: Essais

Fais ainsi, Paetus [...]. Tien, Paetus, il ne m’a poinct faict mal.

1580

Source: Essais

Puis que je ne puis vous laisser autre chose [...], je vous laisse au moins ce que j’ay de plus beau, à sçavoir l’image de mes meurs et de ma vie.

1580

Source: Essais

Où sont ces beaux preceptes de la philosophie ? Que sont devenues les provisions que par tant d’années nous avons faictes contre les accidents de la fortune ?

1580

Source: Essais

Non, Seneca, je ne suis pas pour vous laisser sans ma compaignie [...]; je ne veux pas que vous pensiez que les vertueux exemples de vostre vie ne m’ayent encore appris à sçavoir bien mourir.

1580

Source: Essais

Qui en voudroit bastir un corps entier [...], il ne faudroit qu’il fournit du sien que la liaison, comme la soudure d’un autre metal.

1580

Source: Essais

Il faut arrester l’ame entre les dents, puis que la loy de vivre, aux gens de bien, ce n’est pas autant qu’il leur plait, mais autant qu’ils doivent.

1580

Source: Essais

C’est tesmoignage de grandeur de courage, de retourner en la vie pour la consideration d’autruy.

1580

Source: Essais

Je me suis contrainct à vivre, et c’est quelquefois magnanimité que vivre.

1580

Source: Essais

Ils ont cherché à recommander, non leur dire, mais leur faire.

1580

Source: Essais

C’est une espèce de moquerie et d’injure de vouloir faire valoir un homme par des qualités mésavenantes à son rang, quoiqu’elles soient autrement louables [...].

1580

Source: Essais

De paraître si excellent en ces parties moins nécessaires, c’est produire contre soi le témoignage d’avoir mal dépensé son loisir et l’étude [...].

1580

Source: Essais

Ce n’est pas tant élever les mots, comme d’exprimer le sens, d’autant plus piquamment que plus obliquement.

1580

Source: Essais

Je ne trouve pas grand choix entre ne savoir dire que mal, ou ne savoir rien que bien dire.

1580

Source: Essais

[Les bons écrits] nous apprennent, non à bien dire, mais à bien faire.

1580

Source: Essais

Fi de l’éloquence qui nous laisse envie de soi, non des choses !

1580

Source: Essais

De négocier au vent comme d’autres, je ne saurais que de songe [...].

1580

Source: Essais

Je n’ai ni la faculté ni le goût de ces longues offres d’affection et de service ; [...] me déplaît d’en dire guère outre ce que j’en crois.

1580

Source: Essais

Je hais à mort de sentir le flatteur, qui fait que je me jette naturellement à un parler sec, rond et cru [...].

1580

Source: Essais

J’honore le plus ceux que j’honore le moins ; et, où mon âme marche d’une grande allégresse, j’oublie les pas de la contenance.

1580

Source: Essais

Il me semble qu’ils le doivent lire en mon cœur, et que l’expression de mes paroles fait tort à ma conception.

1580

Source: Essais

Celles [les lettres] qui me coûtent le plus sont celles qui valent le moins ; depuis que je les traîne, c’est signe que je n’y suis pas.

1580

Source: Essais

Je commence volontiers sans projet ; le premier trait produit le second.

1580

Source: Essais

[L'oeuvre de César] devroit estre le breviaire de tout homme de guerre, comme estant le vray et souverain patron de l’art militaire.

1580

Source: Essais

La tromperie n’est pas si grande de trouver les ennemis par effet plus foybles qu’on n’avoit esperé, que, les ayant jugez foybles par reputation, les trouver apres à la verité bien forts.

1580

Source: Essais

Il accoustumoit sur tout ses soldats à obeyr simplement, sans se mesler de contreroller ou parler des desseins de leur capitaine...

1580

Source: Essais

C’est la plus souveraine partie d’un capitaine que la science de prendre au point les occasions, et la diligence.

1580

Source: Essais

Il ne requeroit en ses soldats autre vertu que la vaillance, ny ne punissoit guiere autres vices que la mutination et la desobeïssance.

1580

Source: Essais

Parlant à eux, il les appelloit du nom de compaignons [...]. A cette courtoisie Caesar mesloit toutes-fois une grande severité à les reprimer.

1580

Source: Essais

Il avoit accoustumé de dire qu’il aimoit mieux la victoire qui se conduisoit par conseil, que par force.

1580

Source: Essais

Il me semble lire en plusieurs de ses exploits une certaine resolution de se perdre, pour fuyr la honte d’estre vaincu.

1580

Source: Essais

Il disoit qu’il failloit executer, non pas consulter, les hautes entreprises.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas le nombre des hommes, ains le nombre des bons hommes, qui faict l’advantage, le demeurant servant plus de destourbier que de secours.

1580

Source: Essais

Celuy qui commande à tout un pays ne se doit jamais engager [...], autrement il se doit tenir libre, pour avoir moyen de pourvoir en general à toutes les parties de son gouvernement.

1580

Source: Essais

Il estimoit qu’il ne devoit aysement hazarder l’honneur de tant de victoires, lequel une seule defortune luy pourroit faire perdre.

1580

Source: Essais

Il y peut avoir quelque juste moderation en ce desir de gloire, et quelque sacieté en cet appetit, comme aux autres.

1580

Source: Essais

La passion nous commande bien plus vivement que la raison.

1580

Source: Essais

Les soldats de Caesar avoient accoustumé de donner la vie aux autres, non la recevoir.

1580

Source: Essais

On y procède mal, quand on s’oppose à [une] passion : car l’opposition [...] pique et engage plus avant à la tristesse.

1580

Source: Essais

Les premiers accueils du médecin envers son patient, doivent être gracieux, gais, et agréables. Jamais médecin laid, et rechigné n’y fit œuvre.

1580

Source: Essais

Quand les médecins ne peuvent purger le catarrhe, ils le divertissent [...] à une autre partie moins dangereuse. C’est aussi la plus ordinaire recette aux maladies de l’âme.

1580

Source: Essais

Il appartient à un seul Socrate, d'accointer la mort d’un visage ordinaire, s’en apprivoiser et s’en jouer.

1580

Source: Essais

Ils fuient la lutte : ils détournent de la mort leur considération, comme on amuse les enfants pendant qu’on leur veut donner le coup de lancette.

1580

Source: Essais

Celui qui meurt en la mêlée, les armes à la main, n’étudie pas lors la mort, il ne la sent, ni ne la considère : l’ardeur du combat l’emporte.

1580

Source: Essais

Nous pensons toujours ailleurs : l’espérance d’une meilleure vie nous arrête et appuie, ou l’espérance de la valeur de nos enfants, ou la gloire future de notre nom [...].

1580

Source: Essais

Tant parfaits hommes qu’ils soient, ce sont toujours bien lourdement des hommes.

1580

Source: Essais

Une aigre imagination me tient : je trouve plus court de la changer que de la dompter [...]. Toujours la variation soulage, dissout et dissipe.

1580

Source: Essais

Si je ne puis la combattre, je lui échappe ; et en la fuyant, je fourvoie, je ruse.

1580

Source: Essais

Peu de chose nous divertit et détourne : car peu de chose nous tient.

1580

Source: Essais

Le souvenir d’un adieu, d’une action, d’une grace particulière, d’une recommandation dernière, nous afflige.

1580

Source: Essais

Je vois nonchalamment la mort, quand je la vois universellement, comme fin de la vie. Je la gourmande en bloc : par le menu, elle me pille.

1580

Source: Essais

Combien de fois embrouillons-nous notre esprit de colère ou de tristesse par [des] ombres, et nous insérons en des passions fantastiques, qui nous altèrent et l’âme et le corps ?

1580

Source: Essais

C’est priser sa vie justement ce qu’elle est, de l’abandonner pour un songe.

1580

Source: Essais

Les contradictions [...] ne m’offencent ny m’alterent ; elles m’esveillent seulement et m’exercent.

1580

Source: Essais

Quand on me contrarie, on esveille mon attention, non pas ma cholere ; je m’avance vers celuy qui me contredit, qui m’instruit.

1580

Source: Essais

La cause de la verité devroit estre la cause commune à l’un et à l’autre.

1580

Source: Essais

Je festoye et caresse la verité en quelque main que je la trouve, et luy tends mes armes vaincues, de loing que je la vois approcher.

1580

Source: Essais

L’obstination et ardeur d’opinion est la plus seure preuve de bestise.

1580

Source: Essais

Nous sommes nais à quester la verité ; il appartient de la posseder à une plus grande puissance.

1580

Source: Essais

Le monde n’est qu’une escole d’inquisition. Ce n’est pas à qui mettra dedans, mais à qui faira les plus belles courses.

1580

Source: Essais

Mon humeur est de regarder autant à la forme qu’à la substance, autant à l’advocat qu’à la cause [...].

1580

Source: Essais

Moy à cette heure et moy tantost sommes bien deux ; mais quand meilleur, je n’en puis rien dire.

1580

Source: Essais

Rien ne presse un estat que l’innovation : le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie.

1580

Source: Essais

Le plus vieil et mieux cogneu mal est tousjours plus supportable que le mal recent et inexperimenté.

1580

Source: Essais

Nous nous desplaisons volontiers de la condition presente. Mais je tiens pourtant que d’aller desirant [...] une autre espece de gouvernement, c’est vice et folie.

1580

Source: Essais

Le monde est inepte à se guarir ; il est si impatient de ce qui le presse qu’il ne vise qu’à s’en deffaire, sans regarder à quel pris.

1580

Source: Essais

J’adjouste, mais je ne corrige pas. [...] Mon livre est tousjours un.

1580

Source: Essais

Je ne trouve rien si cher que ce qui m’est donné et ce pourquoy ma volonté demeure hypothequée par tiltre de gratitude [...].

1580

Source: Essais

Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c’est moi que je peins.

1580

Source: Essais

Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.

1580

Source: Essais

Certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme.

1580

Source: Essais

Je suis des plus exempts de cette passion [de la tristesse], et ne l’aime ni l’estime [...] ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience : sot et monstrueux ornement.

1580

Source: Essais

[...] l’effort d’un déplaisir, pour être extrême, doit étonner toute l’âme, et lui empêcher la liberté de ses actions [...]

1580

Source: Essais

Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au delà. La crainte, le désir, l’espérance nous élancent vers l’avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.

1580

Source: Essais

Qui se connaît, ne prend plus l'étranger fait pour le sien : s’aime et se cultive avant toute autre chose : refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles.

1580

Source: Essais

Nous devons la sujétion et l’obéissance également à tous Rois, car elle regarde leur office : mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu.

1580

Source: Essais

L’âme qui n’a point de but établi, elle se perd : car, comme on dit, c’est n’être en aucun lieu, que d’être partout.

1580

Source: Essais

En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole.

1580

Source: Essais

Si, comme la vérité, le mensonge n’avait qu’un visage, nous serions en meilleurs termes. [...] Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini.

1580

Source: Essais

Les hommes [...] sont tourmentés par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mêmes.

1580

Source: Essais

Toute opinion est assez forte pour se faire épouser au prix de la vie.

1580

Source: Essais

A quoi faire la connaissance des choses, si nous en perdons le repos et la tranquillité [...] et si elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pyrrho ?

1580

Source: Essais

Il est en nous, si non de l'anéantir [la douleur], au moins de l’amoindrir par la patience, et quand bien le corps s’en émouverait, de maintenir ce néanmoins l’âme et la raison en bonne trempe.

1580

Source: Essais

Il faut de la modération, même dans l’exercice de la vertu.

1580

Source: Essais

La vertu peut devenir vice, si nous y apportons un désir par trop âpre et par trop violent.

1580

Source: Essais

J’aime les natures tempérées et se tenant dans un moyen terme ; dépasser la mesure, même dans le bien, [...] m’étonne.

1580

Source: Essais

L’archer qui dépasse le but, manque son coup, tout comme celui qui n’y arrive pas.

1580

Source: Essais

Ma vue se trouble [...] lorsque, tout d’un coup, je suis en pleine lumière ou que je tombe dans l’obscurité.

1580

Source: Essais

Pratiquée avec modération, [la philosophie] est agréable et commode ; mais si on en outrepasse les limites, elle finit par rendre l’homme sauvage et vicieux.

1580

Source: Essais

Portée à l’excès, la philosophie asservit notre franchise naturelle et [...] nous fait dévoyer de cette belle voie plane que la nature nous trace.

1580

Source: Essais

Il n’y a si légitime volupté dont l’excès et l’intempérance ne soient blâmables.

1580

Source: Essais

L’homme n’est-il pas un être bien malheureux ? C’est à peine s’il existe un plaisir [...] dont la nature lui concède la jouissance pleine et entière.

1580

Source: Essais

Il n’est pas assez misérable, il faut encore que l’art et l’étude viennent accroître sa misère.

1580

Source: Essais

La sagesse humaine s’ingénie bien sottement à restreindre le nombre et la douceur des voluptés que nous pouvons goûter.

1580

Source: Essais

[...] nos médecins, ceux de l’esprit aussi bien que ceux du corps, [...] ne considèrent comme pouvant procurer la guérison [...] que les tourments, la douleur et la peine.

1580

Source: Essais

La règle qui veut que chaque chose soit guérie par son contraire est ici en défaut : c’est le mal qui guérit le mal.

1580

Source: Essais

[Le plaisir] doit être un plaisir retenu, sérieux, empreint de quelque sévérité ; ce doit être un acte de volupté particulièrement prudent et consciencieux.

1580

Source: Essais

Le vrai champ et sujet de l’imposture sont les choses inconnues.

1580

Source: Essais

Il n’est rien cru si fermement que ce qu’on sait le moins, ni gens si assurés que ceux qui nous content des fables.

1580

Source: Essais

Je trouve mauvais ce que je vois en usage, de chercher à appuyer notre religion par le bonheur et la prospérité de nos entreprises.

1580

Source: Essais

Notre croyance a assez d’autres fondements, sans l’autoriser par les événements.

1580

Source: Essais

Pour le peuple accoutumé à ces arguments plausibles [...], il est danger, quand les événements deviennent contraires, qu’il en ébranle sa foi.

1580

Source: Essais

C’est [...] de même bouche souffler le chaud et le froid.

1580

Source: Essais

Il vaudrait mieux s'entretenir des vrais fondements de la vérité.

1580

Source: Essais

Il est malaisé de ramener les choses divines à notre balance, sans qu’elles n’y souffrent du déchet.

1580

Source: Essais

Les bons ont autre chose à espérer, et les mauvais autre chose à craindre que les fortunes ou infortunes de ce monde.

1580

Source: Essais

Se moquent ceux qui veulent se prévaloir [des choses divines] selon la raison humaine.

1580

Source: Essais

C’est un conflit qui se décide par les armes de la mémoire plus que par celles de la raison.

1580

Source: Essais

Il se faut contenter de la lumière qu’il plaît au Soleil nous communiquer par ses rayons.

1580

Source: Essais

Qui élèvera ses yeux pour en prendre une plus grande [lumière] [...], qu’il ne trouve pas étrange si, pour la peine de son outrecuidance, il y perd la vue.

1580

Source: Essais

Le monde n’est autre qu’un mouvement perpétuel ; tout y est continuellement en branle [...] l’immobilité elle-même n’est qu’un mouvement moins accentué.

1580

Source: Essais

Je ne puis fixer l’objet que je veux représenter : il se meut vague et chancelant [...] je ne le peins pas tel qu’il est, mais tel qu’il m’apparaît au passage.

1580

Source: Essais

Si mon âme pouvait se fixer, je ne serais pas hésitant [...] mais elle est sans cesse cherchant sa voie et s’essayant.

1580

Source: Essais

Si le monde se plaint de ce que je parle trop de moi, je me plains de ce que lui ne pense seulement pas à lui-même.

1580

Source: Essais

La méchanceté résorbe la majeure partie de son propre venin et s’en empoisonne elle-même.

1580

Source: Essais

Bien faire procure toujours [...] cette généreuse fierté compagne d’une bonne conscience.

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Source: Essais

Chercher, dans l’approbation d’autrui, la récompense des actions vertueuses, c’est prendre une base d’appréciation trop incertaine.

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Source: Essais

Il n’y a que vous qui sachiez si vous êtes lâche et cruel [...] les autres ne vous voient pas, ils vous devinent d’après des conjectures incertaines.

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Source: Essais

On ne déracine pas des qualités originelles, on n’arrive qu’à les dissimuler, à les cacher.

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Source: Essais

Le moyen le plus prompt d’acquérir de la gloire devrait être de faire par conscience ce que nous faisons pour la gloire.

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Source: Essais

Le mérite de l’âme n’est pas de s’élever haut, mais d’aller d’une façon ordonnée ; sa grandeur ne se manifeste pas dans la grandeur, mais dans la médiocrité.

1580

Source: Essais

Si j’avais à revivre, je revivrais comme j’ai vécu ; je ne regrette pas le passé et ne redoute pas l’avenir.

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Source: Essais

Ma raison s’exerce bien plus librement quand les choses vont à mon gré.

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Source: Essais

On ne voit pas d’âmes, ou bien peu, qui, en vieillissant, ne sentent l’aigre et le moisi.

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Source: Essais

C’est surtout quand ils ont une haute situation ou jouissent de la faveur populaire, que je suis en défiance des gens [...].

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Source: Essais

La plupart des hommes sont riches de la science d’autrui ; il peut fort bien arriver à quelqu’un de citer une belle sentence [...] sans en saisir toute la portée.

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Source: Essais

On ne s’assimile pas tout ce qu’on emprunte. [...] Il ne faut pas toujours se rendre à ces expressions, si justes, si belles qu’elles paraissent.

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Source: Essais

Quand [les gens] se bornent à formuler leurs appréciations par des généralités [...] et qu’ils rencontrent juste, examinez si ce n’est pas l’effet du hasard.

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Source: Essais

Ces appréciations conçues en termes généraux, qui sont d’emploi si fréquent, ne signifient rien.

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Source: Essais

Il faut non seulement écouter ce que chacun dit, mais encore examiner ce qu’il pense et pourquoi il le pense.

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Source: Essais

J’entends journellement des sots dire des mots qui ne sont pas sots ; ce qu’ils disent est juste, reste à savoir jusqu’à quel point ils s’en rendent compte.

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Source: Essais

Reprendre un sot avec l’espérance de rectifier son jugement, c’est peine perdue.

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Source: Essais

Rien ne me cause tant de dépit dans la sottise que de la voir se complaire en elle-même, [...] plus que n’en peut éprouver la raison.

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Source: Essais

L’obstination et une opinion trop ardente sont des preuves certaines de bêtise.

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Source: Essais

Quand je veux juger de quelqu’un, je lui demande dans quelle mesure il est satisfait de lui-même, jusqu’à quel point ce qu’il dit ou ce qu’il pense le contente.

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Source: Essais

N’oser parler franchement de soi, accuse un manque de courage.

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Source: Essais

Non seulement j’ose parler de moi, mais je ne parle que de moi ; je fais fausse route, quand je parle d’autre chose, je sors de mon sujet.

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Source: Essais

Les bienfaits sont agréables tant que l’on sait pouvoir les acquitter ; mais s’ils dépassent nos moyens [...], ils nous deviennent odieux.

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Source: Essais

[Un bon livre] n’est pas un livre à lire, il est à étudier et à apprendre.

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Source: Essais

Il est difficile que le raisonnement et l’instruction [...] soient assez puissants pour nous mettre en état d’agir si, en outre, nous n’exerçons et ne formons notre âme par la pratique.

1580

Source: Essais

Pour ce qui est de la mort, nous ne pouvons nous y essayer qu’une fois, et quand elle vient, nous n’y sommes tous que des apprentis.

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Source: Essais

Il semble cependant qu’il y ait [...] possibilité de se familiariser avec la mort, de s’y essayer quelque peu. Si nous ne pouvons la joindre, nous pouvons l’approcher, en faire la reconnaissance.

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Source: Essais

Ce n’est pas sans raison qu’on lui compare le sommeil [...]. Avec quelle facilité, étant éveillés, nous nous endormons ; ne perdons-nous pas connaissance de la lumière et de nous-mêmes sans presque nous en apercevoir !

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Source: Essais

Plusieurs choses nous semblent plus grandes par imagination, que par effect.

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Source: Essais

J’ay trouué que lors de ma santé, ie plaignois les malades beaucoup plus, que ie ne me trouue à plaindre moy-mesme, quand i’en suis ; et que la force de mon apprehension encherissoit pres de moitié l’essence et verité de la chose.

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Source: Essais

Ce n’est pas icy ma doctrine, c’est mon estude : et n’est pas la leçon d’autruy, c’est la mienne.

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Source: Essais

Il n’est description pareille en difficulté, à la description de soy-mesmes, ny certes en vtilité.

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Source: Essais

Il y a plusieurs années que ie n’ay que moy pour visée à mes pensées, que ie ne contrerolle et n’estudie que moy. Et si i’estudie autre chose, c’est pour soudain le coucher sur moy, ou en moy, pour mieux dire.

1580

Source: Essais

Ie m’estalle entier : c’est vn skeletos, où d’vne veue les veines, les muscles, les tendons paroissent, chasque piece en son siege. [...] Ce ne sont mes gestes que i’escris ; c’est moy, c’est mon essence.

1580

Source: Essais

De dire moins de soy, qu’il n’y en a, c’est sottise, non modestie : se payer de moins, qu’on ne vaut, c’est lascheté et pusillanimité [...]. Nulle vertu ne s’ayde de la fausseté.

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Source: Essais

L’orgueil gist en la pensée : la langue n’y peut auoir qu’vne bien legere part.

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Source: Essais

Nulle particuliere qualité n’enorgueillira celuy, qui mettra [...] en compte, tant d’imparfaittes et foibles qualitez autres, qui sont en luy, et au bout, la nihilité de l’humaine condition.

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Source: Essais

Qui se connoistra ainsi, qu’il se donne hardiment à connoistre par sa bouche.

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Source: Essais

La plus commune façon d’amollir les cœurs [...] c’est de les émouvoir par soumission à la pitié : Toutefois la bravoure et la constance, moyens tous contraires, ont quelquefois servi à ce même effet.

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Source: Essais

La considération et le respect d’une si notable vertu, émoussa premièrement la pointe de sa colère.

1580

Source: Essais

J’ai une merveilleuse lâcheté vers la miséricorde et la mansuétude.

1580

Source: Essais

À mon avis, je serais pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu’à l’estime.

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Source: Essais

La pitié [est une] passion vicieuse aux Stoïques : ils veulent qu’on secoure les affligés, mais non pas qu’on fléchisse et compatisse avec eux.

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Source: Essais

[...] se rendre à la seule révérence de la sainte image de la vertu, c’est l’effet d’une âme forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur mâle et obstinée.

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Source: Essais

Toutefois, dans les âmes moins généreuses, l'étonnement et l'admiration peuvent faire naître un pareil effet.

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Source: Essais

Certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l’homme.

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Source: Essais

Il est malaisé d’y fonder un jugement constant et uniforme.

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Source: Essais

[...] si je n’en puis arracher parole, j’en arracherai au moins du gémissement.

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Source: Essais

Serait-ce que la hardiesse lui fût si commune que, pour ne pas l'admirer, il la respectât moins ?

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Source: Essais

Nul ne fut vu si abattu de blessures qui n’essayât en son dernier soupir de se venger encore [...] et consoler sa mort en la mort de quelque ennemi.

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Source: Essais

[...] L’un et l’autre de ces deux moyens m’emporterait aisément. Car j’ai une merveilleuse lâcheté vers la miséricorde [...].

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Source: Essais

Si philosopher c’est douter, [...] à plus forte raison niaiser et fantastiquer, comme je fais, doit être douter.

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Source: Essais

Que peuvent souffrir ceux qui ne craignent point la mort ?

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Source: Essais

Comment un homme pourrait-il vivre libre ? En méprisant le mourir.

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Source: Essais

Le présent que Nature nous ait fait le plus favorable, [...] c’est de nous avoir laissé la clef des champs.

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Source: Essais

La vie dépend de la volonté d’autrui, la mort de la nôtre.

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Source: Essais

C’est faiblesse de céder aux maux, mais c’est folie de les nourrir.

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Source: Essais

Il y a bien plus de constance à user la chaîne qui nous tient, qu’à la rompre.

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Source: Essais

C’est le rôle de la couardise, non de la vertu, de s’aller tapir dans un creux [...] pour éviter les coups de la Fortune.

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Source: Essais

C’est contre Nature que nous nous méprisons et mettons nous-mêmes à nonchaloir.

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Source: Essais

C’est de pareille vanité, que nous désirons être autre chose que ce que nous sommes.

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Source: Essais

Pour néant évite la guerre, celui qui ne peut jouir de la paix ; et pour néant fuit la peine qui n’a de quoi savourer le repos.

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Source: Essais

Tous les inconvénients ne valent pas qu’on veuille mourir pour les éviter.

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Source: Essais

Ce que le discours ne ferait en chacun, il le fait en tous : l'ardeur de la société ravissant les jugements particuliers.

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Source: Essais

C’est raison qu’on face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice.

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Source: Essais

[Pour les fautes de malice,] nous nous sommes bandez à nostre escient contre les reigles de la raison, que nature a empreintes en nous.

1580

Source: Essais

[Pour les fautes de faiblesse,] il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme nature, pour nous avoir laissé en telle imperfection et deffaillance.

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Source: Essais

Prou de gens ont pensé qu’on ne se pouvoit prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre conscience.

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Source: Essais

Quant à la couardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie.

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Source: Essais

[Il faut espérer se] pouvoir servir [de ceux qui ont failli], leur ayant fait revenir le courage par cette honte.

1580

Source: Essais

Il est à craindre que la honte les desespere et les rende non froids seulement mais ennemis.

1580

Source: Essais

Quand il y auroit une si grossiere et apparente ou ignorance ou couardise [...] ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuve de meschanceté et de malice.

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Source: Essais

Les hommes, quelque beau visage que fortune leur face, ne se peuvent appeller heureux, jusques à ce qu’on leur aye veu passer le dernier jour de leur vie.

1580

Source: Essais

L’incertitude et varieté des choses humaines, qui d’un bien leger mouvement se changent d’un estat en autre, tout divers.

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Source: Essais

Comme les orages et tempestes se piquent contre l’orgueil et hautaineté de nos bastimens, il y ait aussi là haut des esprits envieux des grandeurs de ça bas.

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Source: Essais

La fortune quelquefois guette à point nommé le dernier jour de nostre vie, pour montrer sa puissance de renverser en un moment ce qu’elle avoit basty en longues années.

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Source: Essais

Ce mesme bon-heur de nostre vie [...] ne se doive jamais attribuer à l’homme, qu’on ne luy aye veu jouer le dernier acte de sa comedie, et sans doute le plus difficile.

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Source: Essais

En tout le reste il y peut avoir du masque : ou ces beaux discours de la Philosophie ne sont en nous que par contenance.

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Source: Essais

Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n’y a plus que faindre, il faut parler François, il faut montrer ce qu’il y a de bon et de net dans le fond du pot.

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Source: Essais

Voylà pourquoy se doivent à ce dernier traict toucher et esprouver toutes les autres actions de nostre vie.

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Source: Essais

C’est le maistre jour, c’est le jour juge de tous les autres : c’est le jour [...] qui doit juger de toutes mes années passées.

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Source: Essais

Je remets à la mort l’essay du fruict de mes estudes. Nous verrons là si mes discours me partent de la bouche, ou du cœur.

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Source: Essais

J’ay veu plusieurs donner par leur mort reputation en bien ou en mal à toute leur vie.

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Source: Essais

Il nous faut voir mourir, [...] avant que d’en pouvoir resoudre [la valeur d'un homme].

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Source: Essais

Au Jugement de la vie d’autruy, je regarde tousjours comment s’en est porté le bout.

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Source: Essais

Des principaux estudes de la mienne, c’est qu’il [le bout de la vie] se porte bien, c’est à dire quietement et sourdement.

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Source: Essais

C’a esté vne belle inuention [...] d’establir certaines merques vaines et sans prix, pour en honnorer et recompenser la vertu.

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Source: Essais

C’est [...] vne bien bonne et profitable coustume, de trouuer moyen de recognoistre la valeur des hommes rares et excellens, et de les contenter [...] par des payemens, qui ne chargent aucunement le publiq, et qui ne coustent rien au Prince.

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Source: Essais

Si au prix qui doit estre simplement d’honneur, on y mesle d’autres commoditez, et de la richesse : ce meslange au lieu d’augmenter l’estimation, il la rauale et en retranche.

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Source: Essais

[...] la vertu embrassant et aspirant plus volontiers à vne recompense purement sienne, plustost glorieuse, qu’vtile.

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Source: Essais

[...] ce n’est pas merueille si la vertu reçoit et desire moins volontiers cette sorte de monnoye commune, que celle qui luy est propre et particuliere, toute noble et genereuse.

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Source: Essais

[...] l’honneur, c’est vn priuilege qui tire sa principale essence de la rareté : et la vertu mesme.

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Source: Essais

On ne remerque pas pour la recommandation d’vn homme, qu’il ait soin de la nourriture de ses enfans, d’autant que c’est vne action commune, quelque iuste qu’elle soit.

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Source: Essais

Il n’eschoit pas de recompense à vne vertu, pour grande qu’elle soit, qui est passée en coustume.

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Source: Essais

Puis donc que ces loyers d’honneur, n’ont autre prix et estimation que cette là, que peu de gens en iouyssent, il n’est, pour les aneantir, que d’en faire largesse.

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Source: Essais

Il y en a vne autre [vertu] vraye, perfaicte et philosophique [...] qui est vne force et asseurance de l’ame, mesprisant également toute sorte de contraires accidens ; equable, vniforme et constante [...].

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Source: Essais

Aucun homme de cœur ne daigne s’auantager de ce qu’il a de commun auec plusieurs.

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Source: Essais

Nostre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus, comme son nom montre, qui vient de valeur.

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Source: Essais

Il est vray-semblable que la premiere vertu qui se soit faict paroistre entre les hommes, et qui a donné aduantage aux vns sur les autres, ç’a este cette-cy [la vaillance].

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Source: Essais

Les regles de la dispensation de ce nouuel ordre, auroyent besoing d’estre extremement tendues et contraintes, pour luy donner authorité.

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Source: Essais

[...] cette fieureuse solicitude que nous auons de la chasteté des femmes, fait aussi qu’vne bonne femme [...] ce ne soit en effect à dire autre chose pour nous, qu’vne femme chaste.

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Source: Essais

Puisque nous ne la pouvons atteindre, vengeons-nous à en médire.

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Source: Essais

Il se trouve des défauts en toutes choses, pour belles et désirables qu’elles soient.

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Source: Essais

Je trouve l'effort bien difficile à la souffrance des maux, mais au contentement d'une médiocre mesure de fortune et à la fuite de la grandeur, j'y trouve fort peu d'affaire.

1580

Source: Essais

L'ambition ne se conduit jamais mieux selon soi, que par une voie égarée et inusitée.

1580

Source: Essais

J'aiguise mon courage vers la patience, je l'affaiblis vers le désir.

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Source: Essais

Je ne veux ni débattre avec un huissier de porte, [...] ni faire fendre en adoration les presses où je passe : je suis duit à un étage moyen, comme par ma fortune, aussi par mon goût.

1580

Source: Essais

Le plus âpre et difficile métier du monde, à mon gré, c'est de faire dignement le Roi.

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Source: Essais

Il est difficile de garder mesure, à une puissance si démesurée.

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Source: Essais

La supériorité et l'infériorité, la maîtrise et la subjection, sont obligées à une naturelle envie et contestation ; il faut qu'elles s'entrepillent perpétuellement.

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Source: Essais

Qui ne participe au hasard et à la difficulté, ne peut prétendre intérêt à l'honneur et au plaisir qui suit les actions hasardeuses.

1580

Source: Essais

Cette aisance et lâche facilité de faire tout baisser sous soi est ennemie de toute sorte de plaisir. C'est glisser, cela, ce n'est pas aller ; c'est dormir, ce n'est pas vivre.

1580

Source: Essais

Concevez l'homme accompagné d'omnipotence, vous l'abîmez : il faut qu'il vous demande par aumône de l'empêchement et de la résistance.

1580

Source: Essais

Leurs bonnes qualités sont mortes et perdues, car elles ne se sentent que par comparaison, et on les en met hors.

1580

Source: Essais

Cette qualité [la Royauté] étouffe et consomme les autres qualités vraies et essentielles.

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Source: Essais

Voudriez-vous qu'il ne fût pas plus savant que moi, lui qui commande à trente légions ?

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Source: Essais

La plus commune façon d’amollir les cœurs [...] c’est de les émouvoir par soumission [...]; toutefois, la braverie, la constance et la résolution, moyens tout contraires, ont quelquefois servi à ce même effet.

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Source: Essais

La considération et le respect d’une si notable vertu rebroussa [...] la pointe de sa colère.

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Source: Essais

J’ai une merveilleuse lâcheté vers la miséricorde et mansuétude.

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Source: Essais

À mon avis je serais pour me rendre plus naturellement à la compassion qu’à l’estimation.

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Source: Essais

La pitié est une passion vicieuse aux stoïques ; ils veulent qu’on secoure les affligés, mais non pas qu’on fléchisse et compatisse avec eux.

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Source: Essais

De se rendre à la seule révérence de la sainte image de la vertu, que c’est l’effet d’une âme forte et imployable [...].

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Source: Essais

Aux âmes moins généreuses, l’étonnement et l’admiration peuvent faire naître un pareil effet.

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Source: Essais

Il eut le courage toujours constant, sans se perdre, et, d’un visage ferme, allait [...] ramentevant à haute voix l’honorable et glorieuse cause de sa mort.

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Source: Essais

Certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l’homme ; il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme.

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Source: Essais

Vraiment, je vaincrai ce silence, et si je n’en puis arracher parole, j’en arracherai au moins du gémissement.

1580

Source: Essais

Serait-ce que la force de courage lui fût si naturelle et commune, que, pour ne l’admirer point, il la respectât moins ?

1580

Source: Essais

[...] en cette hauteur il ne pût souffrir de la voir [la vertu] en un autre, sans le dépit d’une passion envieuse ?

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Source: Essais

L’impétuosité naturelle de sa colère fût incapable d’opposition.

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Source: Essais

Nul ne fut vu ni abattu de blessures, qui n’essayât en son dernier soupir de se venger encore, et [...] consoler sa mort en la mort de quelque ennemi.

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Source: Essais

L’Empereur prit si grand plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu’il en pleura d’aise et amortit toute cette aigreur d’inimitié mortelle [...].

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Source: Essais

Nous pouvons saisir la vertu de façon qu’elle en deviendra vicieuse, si nous l’embrassons d’un désir trop âpre et violent.

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Source: Essais

Ceux qui disent qu’il n’y a jamais d’excès en la vertu, d’autant que ce n’est plus vertu si l’excès y est, se jouent des paroles.

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Source: Essais

On peut et trop aimer la vertu, et se porter excessivement en une action juste.

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Source: Essais

Ne soyez pas plus sages qu’il ne faut, mais soyez sobrement sages.

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Source: Essais

J’aime des natures tempérées et moyennes. L’immodération vers le bien même, si elle ne m’offense, elle m’étonne [...].

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Source: Essais

L’archer qui outrepasse le blanc, faut comme celui qui n’y arrive pas.

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Source: Essais

[La philosophie] en son excès, elle esclave notre naturelle franchise, et nous dévoie [...] du beau et plain chemin que nature nous a tracé.

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Source: Essais

Tous plaisirs et toutes gratifications ne sont pas bien logées en toutes gens.

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Source: Essais

Il n’est en somme aucune si juste volupté, en laquelle l’excès et l’intempérance ne nous soit reprochable.

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Source: Essais

Est-ce pas un misérable animal que l’homme ? À peine est-il en son pouvoir [...] de goûter un seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher par discours.

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Source: Essais

[L'homme] n’est pas assez chétif, si par art et par étude il n’augmente sa misère.

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Source: Essais

La sagesse humaine fait bien sottement l’ingénieuse de s’exercer à rabattre le nombre et la douceur des voluptés qui nous appartiennent [...].

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Source: Essais

C’est une religieuse liaison et dévote que le mariage : voilà pourquoi le plaisir qu’on en tire, ce doit être un plaisir retenu, sérieux et mêlé à quelque sévérité.

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Source: Essais

À qui le jeûne aiguiserait la santé et l’allégresse [...] ce ne serait plus recette salutaire.

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Source: Essais

Cette grande charge [...] de commander à tant d’hommes, n’est pas une situation où l'on puisse demeurer oisif.

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Source: Essais

Il n’est rien qui puisse si justement dégoûter un sujet [...] que de voir son Prince s'adonner à des occupations lâches et vaines.

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Source: Essais

Les victoires qui se gagnent sans le maître ne sont pas complètes.

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Source: Essais

Un maître devrait rougir de honte de prétendre sa part d'une victoire, n'y ayant contribué que sa voix et sa pensée.

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Source: Essais

Un philosophe [...] ne devrait donner aux nécessités corporelles que ce qu'on ne peut leur refuser, tenant toujours l’âme et le corps occupés à des choses belles, grandes et vertueuses.

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Source: Essais

C’est un généreux désir que de vouloir mourir utilement [...], mais l'effet ne dépend pas tant de notre résolution que de notre bonne fortune.

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Source: Essais

Mille ont proposé de vaincre ou de mourir en combattant, qui ont failli à l’un et à l’autre.

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Source: Essais

Il y a des maladies qui atterrent jusques à nos désirs et notre connaissance.

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Source: Essais

Il semble que les coups fuient ceux qui s'y présentent trop allègrement.

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Source: Essais

Qui a jamais vécu si longtemps et si avant dans la mort ? Qui est jamais mort si debout ?

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Source: Essais

L'attitude la plus courageuse vis-à-vis de la mort, et la plus naturelle, c’est de la voir venir, non seulement sans étonnement, mais sans préoccupation.

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Source: Essais

...continuant librement le cours de la vie, jusque dans la mort elle-même.

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Source: Essais

Je suis de ceux sur lesquels l’imagination a beaucoup d’empire [...]; elle s’impose à moi ; aussi je m’efforce de lui échapper, faute de pouvoir lui résister.

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Source: Essais

Je passerais volontiers ma vie en compagnie de personnes bien portantes et d’humeur gaie ; la vue des angoisses des autres agit matériellement sur moi d’une façon pénible.

1580

Source: Essais

Chez quelques condamnés, la frayeur devance l’action du bourreau [...], témoin celui [...] qui était déjà mort foudroyé, par le seul effet de son imagination.

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Source: Essais

Gallus Vibius s’appliqua si fort à étudier les causes et les effets de la folie, qu’il en perdit la raison et ne put la recouvrer.

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Source: Essais

Il est vraisemblable que c’est surtout par un effet de l’imagination [...] que les visions, les miracles, les enchantements et tous les faits surnaturels [...] trouvent créance.

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Source: Essais

La femme qui couche avec un homme, doit, en même temps qu’elle ôte sa jupe, se départir de toute pudeur, et n’y revenir qu’en la revêtant.

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Source: Essais

Celui qui, victime une première fois de son imagination, subit cette honte [...] ayant mal commencé, éprouve de cet accident un dépit qui le met dans un état d’agitation tel, qu’il court grand risque de ne pas mieux se montrer dans les rencontres qui suivent.

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Source: Essais

C’est avec raison qu’on remarque combien [un certain] organe est indépendant de nous-mêmes ; nous sollicitant souvent fort importunément quand nous n’en avons que faire ; nous faisant défaut parfois tout aussi mal à propos.

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Source: Essais

Est-il une seule partie de notre corps qui ne se refuse souvent à ce qui lui incombe et qui, souvent aussi, n’agisse contre notre volonté ?

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Source: Essais

Veut-elle [notre volonté] toujours ce que nous voudrions qu’elle voulût ? Ne veut-elle pas souvent, alors qu’il est évident que nous en serons lésés, ce que nous lui défendons de vouloir ?

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Source: Essais

Pourquoi les médecins, avant d’agir, s’appliquent-ils à mettre leurs malades en confiance [...] si ce n’est pour que leur imagination supplée à l’inefficacité prévue de leurs remèdes ?

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Source: Essais

Les réflexions que j’émets sont de moi ; elles s’appuient sur la raison, non sur les faits ; chacun peut y joindre les exemples qu’il juge à propos.

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Source: Essais

Je considère du reste comme moins hasardeux d’écrire sur le passé que sur le présent, parce que dans le premier cas l’écrivain ne fait que relater des événements de l’authenticité desquels d’autres sont responsables.

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Source: Essais

Rien n’est si contraire à mon style, qu’une narration suivie et étendue ; j’ai l’haleine courte et, pour tout ce que je fais, il faut m’y reprendre à plusieurs fois.

1580

Source: Essais

Peu importe qu’un fait remontant à une époque éloignée, soit raconté d’une façon ou d’une autre ; c’est moins dangereux qu’une erreur dans une ordonnance médicale.

1580

Source: Essais

Toute opposition [...] excite et [...] porte davantage encore à la tristesse ; on exaspère le mal par la jalousie qu’il ressent d’être contrecarré.

1580

Source: Essais

Lorsque ce que nous avons dit sans y mettre d’importance vient à être contesté, nous nous y attachons souvent beaucoup plus qu’à ce qui serait pour nous d’un réel intérêt.

1580

Source: Essais

C’est [...] le remède le plus communément appliqué aux maladies de l’âme : on n’arrive pas à les vaincre en les attaquant directement, mais on peut les faire dévier et les transformer.

1580

Source: Essais

[Certains] fuient la lutte, évitent de regarder la mort en face, comme les enfants qu’on distrait quand on veut leur donner un coup de lancette.

1580

Source: Essais

Celui qui meurt dans la mêlée les armes à la main, ne songe pas à la mort [...]; l’ardeur du combat le tient tout entier.

1580

Source: Essais

Notre pensée est toujours ailleurs ; c’est soit l’espérance d’une vie meilleure qui nous soutient, soit la gloire future de notre nom, ou l’idée d'être affranchi des maux de cette vie.

1580

Source: Essais

Une même blessure, une même fatigue, [...] ne sont pas de même poids pour un général et pour un soldat.

1580

Source: Essais

La vengeance est une douce passion [...] naturelle à l’homme et [qui] a sur nous un grand empire.

1580

Source: Essais

Dès qu’une idée pénible me tient, je trouve plus simple de changer le cours de mes pensées, plutôt que d’essayer de la surmonter.

1580

Source: Essais

[Le] temps [...] est le souverain remède à nos passions ; en alimentant sans cesse notre imagination [...], il désagrège et altère l’impression première, si forte qu’elle soit.

1580

Source: Essais

Un rien suffit pour attirer et détourner notre esprit [...]. Nous n’envisageons guère les choses dans leur ensemble ; ce qui nous frappe, ce sont des détails de peu d’importance.

1580

Source: Essais

Je vois la mort avec indifférence quand je la considère comme le point où la vie aboutit fatalement. Je la brave d’une façon générale, mais en détail je suis moins résolu.

1580

Source: Essais

Une simple rêverie, qui n’a ni corps ni sujet d’être, gouverne et trouble notre âme.

1580

Source: Essais

C’est faire de la vie exactement le cas qu’elle vaut, que de la quitter pour un songe.

1580

Source: Essais

Nulle sagesse n’est parvenue à concevoir la cause de la tristesse si vive que notre imagination peut faire naître en nous, alors que la réalité même n’y parvient pas.

1580

Source: Essais

Le plus grand vice [...] en nous, c’est que nos désirs rajeunissent sans cesse. Nous recommençons toujours à vivre.

1580

Source: Essais

Nous avons le pied à la fosse, et nos appétits et poursuites ne font que naître.

1580

Source: Essais

Le plus long de mes desseins n’a pas un an d’étendue : je ne pense désormais qu’à finir.

1580

Source: Essais

Je me défais de toutes nouvelles espérances et entreprises ; prends mon dernier congé de tous les lieux que je laisse.

1580

Source: Essais

C’est en fin tout le soulagement que je trouve en ma vieillesse, qu’elle amortit en moi plusieurs désirs et soings, de quoi la vie est inquiétée.

1580

Source: Essais

[La vieillesse] amortit en moi le soin du cours du monde, le soin des richesses, de la grandeur, de la science, de la santé, de moi.

1580

Source: Essais

Celui-ci apprend à parler, lors qu’il lui faut apprendre à se taire pour jamais.

1580

Source: Essais

On peut continuer à tout temps l’étude, non pas l’écolage.

1580

Source: Essais

S’il faut étudier, étudions un étude sortable à notre condition, afin que nous puissions répondre [...] « À m’en partir meilleur, et plus à mon aise. »

1580

Source: Essais

Sa science et son courage étaient pour ce regard, au-dessus de la philosophie.

1580

Source: Essais

Me trouvant entièrement dépourvu et vide de toute autre matière, je me suis présenté moi-même à moi pour argument et pour sujet.

1580

Source: Essais

Tout ouvrier aime mieux son ouvrage qu’il n’en serait aimé, si l’ouvrage avait du sentiment.

1580

Source: Essais

Les choses nous sont plus chères qui nous ont plus coûté.

1580

Source: Essais

Nous devons bien prêter un peu à la simple autorité de nature, mais non pas nous laisser tyranniquement emporter à elle ; la seule raison doit avoir la conduite de nos inclinations.

1580

Source: Essais

Une vraie affection [...] devrait naître et s’augmenter avec la connaissance qu’ils nous donnent d’eux.

1580

Source: Essais

Il semble que la jalousie que nous avons de les voir [...] jouir du monde, quand nous sommes à même de le quitter, nous rende plus épargnants [...] envers eux.

1580

Source: Essais

Un père est bien misérable, qui ne tient l’affection de ses enfants que par le besoin qu’ils ont de son secours, si cela se doit nommer affection.

1580

Source: Essais

Il faut se rendre respectable par sa vertu et par sa suffisance, et aimable par sa bonté et douceur de ses mœurs.

1580

Source: Essais

J’accuse toute violence en l’éducation d’une âme tendre qu’on dresse pour l’honneur et la liberté.

1580

Source: Essais

Ce qui ne se peut faire par la raison et par prudence et adresse ne se fait jamais par la force.

1580

Source: Essais

Je n’ai vu autre effet aux verges, sinon de rendre les âmes plus lâches ou plus malicieusement opiniâtres.

1580

Source: Essais

Quand je pourrais me faire craindre, j’aimerais encore mieux me faire aimer.

1580

Source: Essais

Il n’est aucune si douce consolation en la perte de nos amis que celle que nous apporte la science de n’avoir rien oublié à leur dire et d’avoir eu avec eux une parfaite et entière communication.

1580

Source: Essais

Aura-t-on jamais assez dit de quel prix est un ami, à comparaison de ces liaisons civiles ?

1580

Source: Essais

Ce que nous engendrons par l’âme, les enfantements de notre esprit, [...] sont produits par une plus noble partie que la corporelle, et sont plus nôtres.

1580

Source: Essais

Les Italiens ont, avec plus d’à propos, appelé [la tristesse] la méchanceté, car elle est toujours nuisible, toujours insensée [...].

1580

Source: Essais

La douleur [...] est de beaucoup au delà de toute expression.

1580

Source: Essais

[...] devant l’impossibilité de [peindre] une contenance en rapport avec l’intensité de sa douleur, [l'artiste] le peignit le visage couvert.

1580

Source: Essais

[...] un chagrin excessif [...] doit stupéfier l’âme au point de lui enlever toute sa liberté d’action.

1580

Source: Essais

[...] ce morne, muet et sourd hébétement qui s’empare de nous, lorsque les accidents qui nous accablent, dépassent ce que nous en pouvons supporter.

1580

Source: Essais

La vérité est que la mesure était comble, et qu’un rien suffit pour abattre son énergie et amener ce débordement de tristesse.

1580

Source: Essais

C’est avec peine qu’enfin [la douleur] recouvre la voix et peut s’exprimer.

1580

Source: Essais

Qui peut dire à quel point il brûle, ne brûle que d’un petit feu.

1580

Source: Essais

Toute passion qui se raisonne, qui se peut goûter et savourer avec calme, mérite à peine ce nom.

1580

Source: Essais

Les soucis légers sont loquaces, les grandes passions sont silencieuses.

1580

Source: Essais

La surprise d’un plaisir inespéré nous cause un saisissement semblable [à la douleur].

1580

Source: Essais

[...] Diodore le dialecticien [...] en ressentit une telle honte, qu’il en mourut du coup.

1580

Source: Essais

Pour moi, je suis peu prédisposé à ces violentes passions ; par nature, je ne m’émeus pas aisément [...].

1580

Source: Essais

Les actions humaines [...] se contredisent communément de si étrange façon, qu’il semble impossible qu’elles soient parties de même boutique.

1580

Source: Essais

L’irrésolution me semble le plus commun et apparent vice de notre nature.

1580

Source: Essais

Je crois plus malaisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l'inconstance.

1580

Source: Essais

Le vice n'est que dérèglement et faute de mesure ; et par conséquent, il est impossible d'y attacher la constance.

1580

Source: Essais

Le commencement de toute vertu, c'est consultation et délibération, et la fin et perfection, constance.

1580

Source: Essais

Notre façon ordinaire c'est d’aller après les inclinations de notre appétit [...] selon que le vent des occasions nous emporte.

1580

Source: Essais

Nous flottons entre divers avis : nous ne voulons rien librement, rien absolument, rien constamment.

1580

Source: Essais

Non seulement le vent des accidents me remue [...], mais je me remue et trouble moi-même par l’instabilité de ma posture.

1580

Source: Essais

Si je parle diversement de moi, c'est que je me regarde diversement. Toutes les contrariétés s'y trouvent, en quelque façon.

1580

Source: Essais

Je n'ai rien à dire de moi entièrement, simplement, et solidement [...]. Distinguo est le plus universel membre de ma Logique.

1580

Source: Essais

Un fait courageux ne doit pas conclure un homme vaillant : celui qui le serait vraiment, le serait toujours et en toutes occasions.

1580

Source: Essais

Nous sommes tous de lopins, et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment, fait son jeu.

1580

Source: Essais

Il se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes, que de nous à autrui.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas [le fait d’un] entendement rassis de nous juger simplement par nos actions de dehors : il faut sonder jusqu'au-dedans.

1580

Source: Essais

L’amitié vraie est le sentiment le plus élevé de la société ; [...] essentiellement différent des affections qui s’y rencontrent d’une façon courante et en ont l’apparence.

1580

Source: Essais

Dans les amitiés dues à des obligations naturelles, notre volonté ne s’est pas exercée librement ; elles ne résultent pas d’un choix de notre part.

1580

Source: Essais

De tout ce qui naît de notre libre arbitre, rien n’en dépend plus exclusivement que l’affection et l’amitié.

1580

Source: Essais

La chaleur de l’amitié s’étend à tout notre être, elle est universelle mais tempérée et toujours égale ; c’est une chaleur constante et paisible [...].

1580

Source: Essais

L’amour, c’est par-dessus tout un désir violent de ce qui nous fuit.

1580

Source: Essais

L’amitié, au contraire, s’élève, se développe et s’accroît par la jouissance, parce qu’elle est d’essence spirituelle et que l’usage affine l’âme.

1580

Source: Essais

Si on me pressait de dire pourquoi je l'aimais, je ne pourrais que répondre : « Parce que c'était lui ; parce que c'était moi. »

1580

Source: Essais

Il intervient dans les liaisons de cette nature une force inexplicable et fatale que je ne saurais définir.

1580

Source: Essais

Nos âmes ont cheminé si complètement unies [...] que non seulement je connaissais la sienne comme la mienne, mais que j'aurais eu [...] plus confiance en lui qu'en moi-même.

1580

Source: Essais

Entre amis, [...] leurs volontés intimement confondues sont une. [...] Ils ne peuvent ni rien se prêter, ni rien se donner.

1580

Source: Essais

Chacun se donne si entièrement à son ami, qu’il ne reste rien en lui dont il puisse disposer pour d’autres.

1580

Source: Essais

Le secret que j’ai juré de ne communiquer à nul autre, je puis sans parjure le communiquer à qui n’est pas un autre, qui est moi-même.

1580

Source: Essais

Les plaisirs mêmes qui s’offrent à moi, au lieu de me consoler, redoublent le regret que j’ai de sa perte.

1580

Source: Essais

J’étais déjà si fait, si accoutumé à nous trouver deux partout, qu’il me semble n’être plus qu’à demi.

1580

Source: Essais

Si je compare ma vie entière aux quatre années durant lesquelles il m’a été donné de jouir de la compagnie si douce de [mon ami], elle n’est que fumée.

1580

Source: Essais

Ie propose des fantasies informes et irrésolues [...] non pour establir la vérité, mais pour la chercher.

1580

Source: Essais

Il vse bien plus souuent de sa iustice, que de son pouuoir, et nous fauorise selon la raison d’icelle, non selon noz demandes.

1580

Source: Essais

Il faut auoir l’ame nette, au moins en ce moment, auquel nous le prions [...] autrement nous luy présentons nous mesmes les verges, dequoy nous chastier.

1580

Source: Essais

L’assiette d’vn homme meslant à vne vie exécrable la deuotion, semble estre aucunement plus condemnable, que celle d’vn homme conforme à soy, et dissolu par tout.

1580

Source: Essais

Nous prions par vsage et par coustume : ou pour mieux dire, nous lisons ou prononçons noz prières : ce n’est en fin que mine.

1580

Source: Essais

Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d’vne société si accordante et si paisible, le crime et le iuge ?

1580

Source: Essais

Combien auons nous de mestiers et vacations receuës, dequoy l’essence est vicieuse ?

1580

Source: Essais

Fascheuse maladie, de se croire si fort, qu’on se persuade, qu’il ne se puisse croire au contraire.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas en passant, et tumultuairement, qu’il faut manier vn estude si sérieux et vénérable. Ce doit estre vne action destinée, et rassise.

1580

Source: Essais

L’ignorance pure, et remise toute en autruy, estoit bien plus salutaire et plus sçauante, que n’est cette science verbale, et vaine, nourrice de présomption et de témérité.

1580

Source: Essais

[Le] zèle tient de la diuine raison et iustice, se conduisant ordonnément et modérément : mais il se change en haine et enuie [...] quand il est conduit d’vne passion humaine.

1580

Source: Essais

Ie propose les fantasies humaines et miennes, simplement comme humaines fantasies [...] non comme arrestées et réglées par l’ordonnance céleste [...]. Matière d’opinion, non matière de foy.

1580

Source: Essais

Il semble, à la vérité, que nous nous seruons de nos prières, comme d’vn iargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes et diuines à des sorcelleries et effects magiciens.

1580

Source: Essais

Il ne faut pas demander, que toutes choses suiuent nostre volonté, mais qu’elles suiuent la prudence.

1580

Source: Essais

Peu d’hommes qui ozassent mettre en euidence les requestes secrettes qu’ils font à Dieu.

1580

Source: Essais

Notre curiosité forcenée s'amuse à préoccuper les choses futures, comme si nous n'avions pas assez à faire à digérer les présentes.

1580

Source: Essais

On ne gagne rien à connaître l’avenir et c’est malheureux de se tourmenter en vain.

1580

Source: Essais

Celui-là est maître de lui-même et passe heureusement la vie, qui peut dire chaque jour : « J’ai vécu ».

1580

Source: Essais

Satisfaits du présent, gardons-nous de nous inquiéter de l’avenir.

1580

Source: Essais

Quant à ceux qui entendent le langage des oiseaux [...] plutôt que leur raison, je tiens qu’il vaut mieux les écouter que les croire.

1580

Source: Essais

Dans tous les gouvernements, on a toujours laissé une bonne part d’autorité au hasard.

1580

Source: Essais

Quel est celui qui, tirant à la cible toute la journée, n’atteindra pas quelquefois le but ?

1580

Source: Essais

Personne ne prend note de leurs erreurs, d’autant qu’elles sont en nombre infini [...], on a beau jeu à faire valoir ceux de leurs pronostics [...] qui par hasard viennent à se réaliser.

1580

Source: Essais

Ceux qui ont péri [dans le naufrage] n’ont consacré aucun tableau, et ils sont en bien plus grand nombre.

1580

Source: Essais

Dans les troubles publics, les hommes [...] se livrent à la superstition, et recherchent dans l'observation des astres les causes de leur malheur.

1580

Source: Essais

[Les interprètes des prophéties] seraient capables de trouver dans n’importe quel écrit tout ce qu’ils voudraient lui faire dire.

1580

Source: Essais

Le langage prophétique est obscur, ambigu, fantastique [...] afin que la postérité puisse l’appliquer dans tel sens qu’il lui plaira.

1580

Source: Essais

Le démon familier de Socrate était probablement certaines inspirations qui, en dehors de sa raison, se présentaient à lui.

1580

Source: Essais

Dans une âme pure [...], il est vraisemblable que ces inspirations, quoique hardies et peu précises, méritaient d’être écoutées.

1580

Source: Essais

J'ai eu [des impulsions] faibles en raison et violentes en persuasion [...] auxquelles je me laissai entraîner [...] et je m’en suis si bien trouvé, que je pourrais presque les attribuer à des inspirations divines.

1580

Source: Essais

Cette grande charge [...] de commander à tant d’hommes, n’est pas une situation où on puisse demeurer oisif.

1580

Source: Essais

Il n’est rien qui [...] soit de nature à dégoûter un sujet de se donner de la peine [...] comme de voir son prince s’accoutumer à la paresse.

1580

Source: Essais

Les victoires qui se gagnent sans que le maître soit là, ne sont pas complètes.

1580

Source: Essais

Il n’y a pas de pilote qui exerce son métier en demeurant en terre ferme.

1580

Source: Essais

L’âme et le corps devant toujours demeurer exclusivement occupés de choses grandes, belles et vertueuses.

1580

Source: Essais

Ils n’enseignaient rien à leurs enfants [...] que ceux-ci dussent apprendre en demeurant assis.

1580

Source: Essais

C’est un généreux désir que de souhaiter une mort digne [...] mais cela ne dépend pas tant de notre résolution [...] que de notre bonne fortune.

1580

Source: Essais

Des milliers de gens se sont proposé de vaincre ou de périr en combattant, qui n’ont réalisé ni l’un ni l’autre.

1580

Source: Essais

Il semble que les coups fuient ceux qui s’y exposent bien franchement, et se refusent d’ordinaire à qui les recherchent.

1580

Source: Essais

L’attitude la plus courageuse vis-à-vis de la mort, et la plus naturelle, c’est de la voir venir, non seulement sans étonnement, mais aussi sans préoccupation.

1580

Source: Essais

[Il faut] continuer à vivre, jusqu’à ce que [la mort] s’empare de nous, sans rien changer à son genre de vie.

1580

Source: Essais

J'eprouvai là ce qui m’est arrivé en beaucoup d’autres occasions, que l’Imagination va toujours plus loin que la réalité.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je fus heureux de ne pas croire ces Médecins qui ordonnent d’abandonner [un remède], lorsqu’il ne réussit pas dès le premier jour.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je donnai après dîner un bal de Païsannes, & j’y dansai moi-même pour ne pas paroître trop réservé.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

On ne voit pas chez les nations libres la même distinction de rangs [...] que chez les autres peuples; ici les plus petits ont je ne sçai quoi de seigneurial à leur maniere.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Jusqu’en demandant l’aumône, ils mêlent toujours quelque parole d’autorité : comme, Faites-moi l’aumône, voulez-vous ? ou Donnez-moi l’aumone, entendez-vous ?

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[...] l’agrément du bal ne dépendoit pas seulement du mouvement des piés, mais encore de la contenance, de l’air, de la bonne façon & de la grace de toute la personne.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

C’est véritablement un spectacle agréable & rare pour nous autres François, de voir des paysannes si gentilles, mises comme des Dames, danser aussi bien [...].

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[...] de voir ces paysans un luth à la main, & de leur côté les bergeres, ayant l’Arioste dans la bouche : mais c’est ce qu’on voit dans toute l’Italie.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Il y auroit trop de foiblesse & de lâcheté de ma part, si, certain de me retrouver toujours dans le cas de périr [...], je ne faisois pas mes efforts [...] pour pouvoir [la mort] supporter sans peine, quand le moment sera venu.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le seul remede, la seule regle & l’unique science, pour éviter tous les maux qui assiégent l’homme [...], c’est de se résoudre à les souffrir humainement ou à les terminer courageusement & promptement.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[...] il leur arrivoit la même chose qu’à ceux qui pour être trop voisins de Notre-Dame de Lorette, y vont rarement en pélérinage [...].

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Je n’ai point trouvé en Italie un seul bon barbier pour me raser & me faire les cheveux.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

La place de Sienne est la plus belle qu’on voie dans aucune ville d’Italie.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

[Les Médecins], plus pour leur profit que pour le bien des malades, ont répandu cette opinion, que les bains ne faisoient aucun effet à ceux qui [...] n’avoient pas grand soin de se médicamenter en les prenant [...].

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

Le concours de cette sorte de gens est, à ce qu’il me semble, une image de la liberté perdue, qui se renouvelle ainsi tous les ans à la principale Fête de la ville.

1774

Source: Journal du voyage de Montaigne

La fortune, comme par despit, a faict durer iusques à nous la vanité de ces requestes, et pieça faict perdre ces histoires.

1580

Source: Essais

Ils ont cherché à recommander non leur dire, mais leur faire.

1580

Source: Essais

C’est vne espèce de mocquerie et d’iniure, de vouloir faire valoir vn homme, par des qualitez mes-aduenantes à son rang, quoy qu’elles soient autrement loüables.

1580

Source: Essais

De paroistre si excellent en ces parties moins nécessaires, c’est produire contre soy le tesmoignage d’auoir mal dispencé son loisir et l’estude.

1580

Source: Essais

Ce n’est pas tant esleuer les mots, comme déprimer le sens.

1580

Source: Essais

Ie ne trouue pas grand choix, entre ne sçauoir dire que mal, ou ne sçauoir rien que bien dire.

1580

Source: Essais

Fy de l’éloquence qui nous laisse enuie de soy, non des choses.

1580

Source: Essais

Il me falloit [...] vn certain commerce, qui m’attirast, qui me soustinst, et sousleuast. Car de négocier au vent, comme d’autres, ie ne sçauroy, que de songe.

1580

Source: Essais

Ie n’ay ny la faculté, ny le goust de ces longues offres d’affection et de seruice. Ie n’en crois pas tant ; et me desplaist d’en dire guère, outre ce que i’en crois.

1580

Source: Essais

Ie hay à mort de sentir au flateur. Qui faict que ie me iette naturellement à vn parler sec, rond et cru.

1580

Source: Essais

Il me semble qu’ils le doiuent lire en mon cœur, et que l’expression de mes paroles, fait tort à ma conception.

1580

Source: Essais

Celles [lettres] qui me coustent le plus, sont celles qui valent le moins. Depuis que ie les traine, c’est signe que ie n’y suis pas.

1580

Source: Essais

Ie commence volontiers sans proiect ; le premier traict produit le second.

1580

Source: Essais

Les Sages disent, que pour le regard du sçauoir, il n’est que la philosophie, et pour le regard des effects, que la vertu, qui généralement soit propre à tous degrez, et à tous ordres.

1580

Source: Essais

Les biens et les maux ne sont souvent tels que par l’opinion que nous en avons.

1580

Source: Essais

Nos désirs s’accroissent par la difficulté de les satisfaire.

1580

Source: Essais

L'esprit humain, par sa faiblesse, est souvent un obstacle à lui-même.

1580

Source: Essais

Il faut s’appliquer à savoir supporter la contradiction.

1580

Source: Essais

Du bien et du mal, leur mélange constant en toutes choses.

1580

Source: Essais

Le rôle essentiel de [l'âme] est de maîtriser nos passions.

1580

Source: Essais

Tout soumettre à l’examen de la raison conduit à bien des erreurs.

1580

Source: Essais

On ne saurait trop se méfier tant que la signature définitive n’est pas donnée, sans compter qu’à ce moment même, tout n’est pas encore fini.

1580

Source: Essais

Il a été de tous temps bien hasardeux [...] d'exposer aux excès d’une armée victorieuse une ville qui vient de se rendre.

1580

Source: Essais

Cléomènes prétendait que le droit de la guerre [...] est au-dessus des lois de la justice divine, comme de celles de la justice humaine, et ne relève pas d’elles.

1580

Source: Essais

...on ne peut blâmer que, dans certaines circonstances, nous profitions des fautes de l’ennemi, tout comme [...] nous profitons de sa lâcheté.

1580

Source: Essais

La guerre admet en effet comme licites, beaucoup de pratiques condamnables en dehors d’elle.

1580

Source: Essais

Le principe que « personne ne doit chercher à faire son profit de la sottise d’autrui » est ici en défaut.

1580

Source: Essais

...l’amour du butin, l’esprit de vengeance l’emportant sur le respect de son autorité et l’observation de la discipline militaire.

1580

Source: Essais

« Il est toujours glorieux de vaincre, que la victoire soit due au hasard ou à l’habileté », disent certains.

1580

Source: Essais

Le philosophe Chrysippe n’eût pas été de cet avis, et je partage sa façon de penser.

1580

Source: Essais

Ceux qui [...] prennent part à une course, doivent bien employer toutes leurs forces à gagner de vitesse leurs adversaires ; mais il ne leur est pourtant pas permis de porter la main sur eux pour les arrêter.

1580

Source: Essais

Il n’est pas de ma dignité de chercher à vaincre à la dérobée : j’aime mieux avoir à me plaindre de la fortune, qu’à rougir de ma victoire.

1580

Source: Essais

[Il] veut vaincre, non par surprise, mais par la seule force des armes.

1580

Source: Essais

Nous pouuons saisir la vertu, de façon qu’elle en deuiendra vicieuse : si nous l’embrassons d’vn désir trop aspre et violant.

1580

Source: Essais

On peut et trop aymer la vertu, et se porter excessiuement en vne action iuste.

1580

Source: Essais

I’ayme des natures tempérées et moyennes. L’immoderation vers le bien mesme, si elle ne m’offense, elle m’estonne, et me met en peine de la baptizer.

1580

Source: Essais

L’archer qui outrepasse le blanc, faut comme celuy, qui n’y arriue pas.

1580

Source: Essais

L’extrémité de la philosophie estre dommageable : et conseille de ne s’y enfoncer outre les bornes du profit.

1580

Source: Essais

En son excès, [la philosophie] esclaue nostre naturelle franchise : et nous desuoye par vne importune subtilité, du beau et plain chemin, que nature nous trace.

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Source: Essais

Il n’est en somme aucune si iuste volupté, en laquelle l’excez et l’intempérance ne nous soit reprochable.

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Source: Essais

Est-ce pas vn misérable animal que l’homme ? À peine est-il en son pouuoir [...] de gouster vn seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher par discours.

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Source: Essais

Il n’est pas assez chetif, si par art et par estude il n’augmente sa misere.

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Source: Essais

La sagesse humaine faict bien sottement l’ingénieuse, de s’exercer à rabattre le nombre et la douceur des voluptez, qui nous appartiennent.

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Source: Essais

Noz médecins spirituels et corporels [...] ne trouuent aucune voye à la guerison [...] que par le tourment, la douleur et la peine.

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Source: Essais

Tous plaisirs et toutes gratifications ne sont pas bien logées en toutes gens.

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Source: Essais

Un Prêteur [...] doit auoir non les mains seulement, mais aussi les yeux chastes.

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Source: Essais

Le mariage estoit vn nom d’honneur et dignité, non de folastre et lasciue concupiscence.

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Source: Essais

Les hommes, quelles que soient les faveurs dont la Fortune les comble, ne peuvent être réputés heureux, tant qu’on n’a pas vu s’achever le dernier jour de leur vie.

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Source: Essais

...en raison de l’incertitude et de l’instabilité des choses humaines, qu’un rien suffit à changer du tout au tout.

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Source: Essais

Il semble qu’il y ait aussi là haut des esprits envieux des grandeurs d’ici-bas.

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Source: Essais

On dirait que quelquefois la Fortune guette, à point nommé, le dernier jour de notre vie, pour [...] renverser en un moment ce qu’elle a mis de longues années à édifier.

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Source: Essais

Le bonheur [...] dépend de la tranquillité et du contentement d’un esprit juste, de la résolution et de la fermeté d’une âme maîtresse d’elle-même.

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Source: Essais

[Le bonheur] ne doit jamais être considéré comme acquis à l’homme, qu’on ne lui ait vu jouer le dernier acte [...] de la comédie qu’est notre existence.

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Source: Essais

À cette dernière scène entre la mort et nous, il n’y a plus à feindre, il faut s’expliquer nettement [...], et montrer ce qu’il y a de réel et de bon au fond de nous-mêmes.

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Source: Essais

C’est le maître jour, celui duquel relèvent tous les autres ; en ce jour [...] se jugera tout mon passé.

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Source: Essais

Je remets à la mort l’essai du fruit de mes études. On verra là si mes discours me partent de la bouche, ou du cœur.

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Source: Essais

Combien ont dû à la mort, la réputation d’avoir bien ou mal vécu !

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Source: Essais

De vrai, on déroberait beaucoup à celui-là, qui le pèserait sans l’honneur et grandeur de sa fin.

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Source: Essais

Au jugement de la vie d’autrui, je regarde toujours comment s’en est porté le bout.

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Source: Essais

Des principaux études de ma vie, c’est que son bout se porte bien, c’est-à-dire quiètement et sourdement.

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Source: Essais

Il n’est sujet si vain, qui ne mérite un rang en cette rapsodie.

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Source: Essais

Pour moi j’oublie souvent [...] ces vains offices, comme je retranche en ma maison toute cérémonie.

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Source: Essais

Il vaut mieux que je l’offense pour une fois, que moi tous les jours : ce serait une sujétion continuelle.

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Source: Essais

À quoi faire fuit-on la servitude des cours, si on l'entraîne jusque dans sa tanière ?

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Source: Essais

Non seulement chaque pays, mais chaque cité a sa civilité particulière, et chaque vacation.

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Source: Essais

J’aime à les ensuivre, mais non pas si couardement que ma vie en demeure contrainte.

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Source: Essais

J’ai vu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.

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Source: Essais

C’est au demeurant une très utile science que la science de l’entregent.

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Source: Essais

[La science de l'entregent] est, comme la grâce et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la société et familiarité.

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Source: Essais

[La science de l'entregent] nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d’autrui...

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Source: Essais

...et à exploiter et produire notre exemple, s’il a quelque chose d’instruisant et communicable.

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Source: Essais

Il me semble que la vertu est chose autre et plus noble, que les inclinations à la bonté qui naissent en nous.

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Source: Essais

Il semble que le nom de la vertu présuppose de la difficulté et du contraste, et qu’elle ne peut s’exercer sans partie [adverse].

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Source: Essais

La vertu refuse la facilité pour compagne [...] elle demande un chemin âpre et épineux.

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Source: Essais

[Certains philosophes] veulent quêter de la douleur, de la nécessité et du mépris, pour les combattre et pour tenir leur âme en haleine.

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Source: Essais

[Une nature débonnaire] rend un homme innocent, mais non point vertueux ; exempt de mal faire, mais non assez apte à bien faire.

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Source: Essais

La faute d’appréhension et la bêtise contrefont ainsi parfois les effets vertueux.

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Source: Essais

Quand on juge d’une action particulière, il faut considérer plusieurs circonstances, et l’homme tout entier qui l’a produite, avant de la baptiser.

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Source: Essais

J’ai vu quelquefois mes amis appeler prudence en moi ce qui était fortune, et estimer courage ce qui était avantage de jugement.

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Source: Essais

Je trouve, en plusieurs choses, plus de règle en mes mœurs qu’en mon opinion, et ma concupiscence moins débauchée que ma raison.

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Source: Essais

Je hais, entre autres vices, cruellement la cruauté, et par nature et par jugement, comme l’extrême de tous les vices.

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Source: Essais

Les morts, je ne les plains guère et les envierais plutôt ; mais je plains bien fort les mourants.

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Source: Essais

En la justice même, tout ce qui est au-delà de la mort simple me semble pure cruauté.

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Source: Essais

Je n’ai pas su voir seulement, sans déplaisir, poursuivre et tuer une bête innocente qui est sans défense, et de qui nous ne recevons aucune offense.

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Source: Essais

Nul ne prend son ébat à voir des bêtes s’entrejouer et caresser, et nul ne manque de le prendre à les voir s’entredéchirer et démembrer.

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Source: Essais

Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures qui en peuvent être capables : il y a quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle.

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Source: Essais

Que philosopher, ce n’est autre chose que s’aprester à la mort.

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Source: Essais

Toute la sagesse et discours du monde se resoult en fin à ce point, de nous apprendre à ne craindre point à mourir.

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Source: Essais

Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir est nostre but, quoy qu’elles en prennent divers moyens.

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Source: Essais

En la vertu mesme, le dernier but de nostre visée, c’est la volupté.

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Source: Essais

De tous les plaisirs que nous cognoissons, la poursuite mesme en est plaisante.

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Source: Essais

Or des principaux bienfaicts de la vertu est le mespris de la mort, moyen qui fournit nostre vie d’une molle tranquillité [...].

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Source: Essais

Le but de nostre carriere, c’est la mort, c’est l’object necessaire de nostre visée : si elle nous effraye, comme est il possible d’aller un pas en avant, sans fiebvre ?

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Source: Essais

Le remede du vulgaire c’est de n’y penser pas. Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir un si grossier aveuglement ?

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Source: Essais

Ostons luy [à la mort] l’estrangeté, pratiquons le, accoustumons le. N’ayons rien si souvent en la teste que la mort.

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Source: Essais

Il est incertain où la mort nous attende, attendons la par tout. La premeditation de la mort est premeditation de la liberté.

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Source: Essais

Qui a apris à mourir, il a desapris à servir. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contrainte.

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Source: Essais

Il n’y a rien de mal en la vie pour celuy qui a bien comprins que la privation de la vie n’est pas mal.

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Source: Essais

Le continuel ouvrage de vostre vie c’est bastir la mort. Vous estes en la mort pendant que vous estes en vie.

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Source: Essais

La vie n’est de soy ny bien ny mal : c’est la place du bien et du mal selon que vous la leur faictes.

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Source: Essais

Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me treuve plantant mes chous, mais nonchalant d’elle [...].

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Source: Essais

Il n’est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements que la colère.

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Source: Essais

Pendant que le pouls nous bat et que nous sentons de l’émotion, remettons la partie : les choses nous sembleront autres, quand nous serons apaisés et refroidis.

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Source: Essais

C’est la passion qui commande alors, c’est la passion qui parle, ce n’est pas nous.

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Source: Essais

À travers la passion, les fautes nous apparaissent plus grandes, comme les corps à travers un brouillard.

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Source: Essais

Dire et faire sont deux choses ; il faut considérer le prêche à part, et le prêcheur à part.

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Source: Essais

C’est sans doute une belle harmonie, quand le faire et le dire vont ensemble.

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Source: Essais

Celui qui dit ce qu'il pense frappe bien plus vivement que celui qui se contrefait.

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Source: Essais

[La colère] est une passion qui se plait en soi-même, et qui se flatte.

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Source: Essais

Combien de fois, [...] si on vient à nous présenter quelque bonne défense ou excuse, nous dépitons-nous contre la vérité même et l'innocence ?

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Source: Essais

Il n’est réplique si piquante comme est un tel mépris.

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Source: Essais

J'aimerais mieux produire mes passions, que de les couver à mes dépens. Elles s'alanguissent en s'éventant.

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Source: Essais

La tempête ne s'engendre que de la concurrence des colères, qui se produisent volontiers l'une de l'autre.

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Source: Essais

La colère sert parfois d'arme à la vertu et à la vaillance. [...] c'est une arme qui nous manie ; notre main ne la guide pas, c'est elle qui guide notre main.

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Source: Essais

La vaillance [...] ne se plaît à immoler un taureau que s’il se défend, elle suspend ses coups dès qu’elle voit l’ennemi à sa merci.

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Source: Essais

La pusillanimité [...] n’ayant pu se mêler au premier acte, entre en scène au second, celui du massacre et du sang.

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Source: Essais

Il y a plus de bravoure et de dédain à battre son ennemi qu’à l’achever ; à le contraindre à céder, qu’à le faire mourir.

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Source: Essais

Tuer un homme, c’est le mettre à l’abri de nos offenses.

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Source: Essais

La vengeance est à plaindre, quand elle perd le moyen de faire souffrir celui contre lequel elle s’exerce.

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Source: Essais

Nous voulons vaincre, mais avec certitude de succès plutôt que d’une manière honorable ; nous cherchons dans une querelle le résultat plutôt que la gloire.

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Source: Essais

Celui qui attend qu’un auteur soit trépassé pour critiquer ses œuvres, que démontre-t-il, sinon qu’il est faible et se complaît à nuire.

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Source: Essais

Il est dans la nature qu’en face du danger, se trouver en compagnie réconforte et encourage.

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Source: Essais

Chacun court assez de risques pour lui-même, sans en courir encore pour autrui.

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Source: Essais

Mettez trois Français dans les déserts de la Libye, ils ne s’y trouveront pas ensemble depuis un mois, qu’ils se harcèleront et s’égratigneront.

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Source: Essais

L’honneur au combat consiste à ne faire [...] appel qu’à sa valeur et non à l’habileté.

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Source: Essais

Tout ce qui outrepasse la mort simple me semble pure cruauté.

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Source: Essais

Ce qui rend les tyrans si sanguinaires, c’est le soin de leur sûreté ; la lâcheté qu’ils ont au cœur ne leur fournit pas d’autre moyen que d’exterminer [...] ceux qui peuvent les offenser.

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Source: Essais

Les sujets intéressants font toujours bien en quelque endroit qu’on les mette.

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Source: Essais

Je ne puis comprendre les parties dont se compose mon être propre.

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Source: Essais

La fin et le commencement de cette science [philosophique] tiennent également de la bêtise.

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Source: Essais

On ne peut rien dire de si absurde, qui n’ait déjà été dit par quelque philosophe.

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Source: Essais

Notre esprit est un outil vagabond, dangereux et téméraire ; il est malaisé d’en user avec ordre et mesure.

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Source: Essais

Le regard que notre jugement porte sur la vérité peut se comparer [...] à celui du chat-huant contemplant la splendeur du soleil.

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Source: Essais

L’homme a un soin extrême de prolonger son être ; il y a pourvu de toutes façons : [...] pour celle de son nom, par la gloire.

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Source: Essais

Tout ce que produisent notre raison seule et notre intelligence, aussi bien ce qui est vrai que ce qui est faux, est sujet à l’incertitude et à la discussion.

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Source: Essais

Combien jugeons-nous diversement des choses ? combien de fois changeons-nous d’idées ?

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Source: Essais

[...] toujours la présente opinion, venue la dernière, est celle qui est la vraie, l’infaillible.

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Source: Essais

si je suis satisfait de ma santé, que le temps soit beau, me voilà un homme aimable ; si j’ai un cor qui me blesse l’orteil, je suis maussade, déplaisant, inabordable.

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Source: Essais

Je ne fais qu’aller et venir, mon jugement ne va pas toujours droit de l’avant, il flotte, allant çà et là [...].

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Source: Essais

[...] nous n’avons pas à nous préoccuper de savoir lequel de ces deux systèmes est le vrai. Qui sait si, d’ici mille ans, un troisième ne les renversera pas tous deux ?

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Source: Essais

C’est folie d’unir le mortel à l’immortel, de les croire d’intelligence, et en communauté de fonctions.

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Source: Essais

[...] les arts et les sciences ne se jettent pas tout d’un bloc dans un moule, mais se forment et prennent figure peu à peu, en les maniant et les polissant [...].

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Source: Essais

Si l’homme ne se connaît pas lui-même, comment peut-il connaître sa force et pourquoi il est sur cette terre ?

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Source: Essais